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Prise en charge des urgences abdominales en situation oncologique avancée

Prise en charge des urgences abdominales en situation oncologique avancée

Management of abdominal emergencies in advanced cancer

Moussa Sylla1,&, Dondo Mara2, Pierleski Elion Ossibi1, Tarek Souiki1, Imane Toughrai1, Karim Hassani Ibn Majdoub1, Khalid Mazaz1

 

1Service de Chirurgie Viscérale, Chu Hassan II, Fès, Maroc, 2Service de Radiologie, Chu Hassan II, Fès, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Moussa Sylla, Service de Chirurgie Viscérale, Chu Hassan II, Fès, Maroc

 

 

Résumé

L´urgence abdominale en situation oncologique avancée est une pathologie aiguë abdominale menaçant la vie et survenant dans un contexte oncologique presque incurable. Nous rapportons la prise en charge de 31 cas d´abdomen aigu en situation carcinologique avancée. Etude prospective de Janvier à Décembre 2017 au CHU de Fès. L´âge moyen était de 54,23 ans, avec un sexe ration H/F 1,15. Trente pourcent (30%) des cas avaient des antécédents de cancer. Les circonstances de découvertes étaient: le syndrome occlusif (83,87%), la contracture abdominale (12,9%) et la fistule (3,23%). Le scanner avait révélé des localisations tumorales au niveau des sites suivants: colorectale (non perforées 77,42% contre 6,45% perforée), gastriques perforées ou fistulisées (6,45%), pancréatique envahissant le transverse (3,23%), vésicale envahissant le sigmoïde avec hernie interne (3.23%) et cervicale utérine envahissant le rectum (3,23%). L´extension locale était présente chez 93,6% des patients et métastatique dans 100% des cas. Le geste opératoire était une colostomie 51,61%, Hartmann 6,45%, suture gastrique 6,45%, réduction de hernie interne 3,23%. Sept patients (22,58%) ont bénéficié d´une corticothérapie, prothèse colique 6,45% et drainage radiologique 3,23%. L´évolution était favorable chez 90,30% contre 9,68% de décès. La chirurgie palliative garde sa place chez ces malades en urgence abdominale sur cancer avancé en les conférant un confort et une certaine survie. Cependant une collaboration multidisciplinaire serait importante pour la prise en charge adéquate de ces patients, mais l'urgence de la situation rend cette tâche difficile en pratique.


Abdominal emergency in advanced oncological situations is an acute life-threatening abdominal pathology occurring in an almost incurable oncological context. We report the management of 31 cases of acute abdomen in advanced carcinology situations. Prospective study from January to December 2017 at the University Hospital of Fez. The average age of our patients was 54.23 years with a gender ratio M/F 1.15, 30% of the cases had a history of cancer. The circumstances of discovery were: occlusive syndrome (83.87%), abdominal contracture (12.9%) and fistula (3.23%). The CT scan revealed tumor locations at the following sites: colorectal (non-perforated 77.42% versus 6.45% perforated), gastric perforated or fistulized (6.45%), pancreatic invading the transverse (3.23%), bladder invading the sigmoid with internal hernia (3.23%) and uterine cervical invading the rectum (3.23%). Local extension was present in 93.6% of patients and metastatic in 100% of cases. The operative procedure was a colostomy 51.61%, Hartmann 6.45%, gastric suture 6.45%, reduction of internal hernia 3.23%. Seven patients (22.58%) received corticosteroid therapy, colonic prosthesis 6.45% and radiological drainage 3.23%. The evolution was favorable in 90.30% against 9.68% of deaths. Palliative surgery retains its place in these patients with abdominal emergencies due to advanced cancer, giving them comfort and a certain survival. However, multidisciplinary collaboration would be important for the proper care of these patients, but the urgency of the situation makes this task difficult in practice.

Key words: Advanced cancer, emergencies, surgery

 

 

Introduction    Down

Une urgence abdominale en situation oncologique avancée se définit comme une pathologie aiguë abdominale menaçant la vie et survenant dans un contexte oncologique incurable. Le chirurgien est régulièrement confronté à des urgences abdominales qui surviennent dans des situations carcinologiques palliatives. Ces urgences comprennent une occlusion intestinale, des complications septiques (abcès, péritonite, fistule) et plus rarement des hémorragies. Dans cet environnement difficile, la consultation multidisciplinaire est très importante. Le chirurgien est souvent seul en première ligne avec le patient et sa famille pour prendre les décisions thérapeutiques. C'est pourtant, à la fois nécessaire et obligatoire de discuter toute stratégie thérapeutique pleinement avec le patient et / ou sa famille. Pour être bénéfique, l´intervention chirurgicale doit augmenter la survie et améliorer la qualité de vie [1]. Nous rapportons la prise en charge de 31 cas d´abdomen aigu en situation carcinologique avancée admis aux urgences du CHU de Fès sur une période d´une année.

 

 

Méthodes Up    Down

Etude prospective menée de janvier à décembre 2017 colligeant tous les cas de cancers avancés admis aux urgences chirurgicales du CHU Hassan II de Fès dans un tableau d´abdomen aigu. Ont été inclus, les patients admis aux urgences viscérales pour un syndrome urgent abdominal digestif révélant ou compliquant un terrain cancérologique, ayant nécessité d´une intervention médicale, instrumentale et/ou chirurgicale immédiate. Les patients avec un cancer digestif sans symptomatologie digestive aiguë, et/ou ceux bénéficiant d´une prise en charge différée, ont été exclus de cette étude. Le recueil des données a été fait à partir des dossiers d´urgences, d'hospitalisations, des comptes rendus paracliniques, opératoires et histologiques discutés en concertation pluridisciplinaire.

 

 

Résultats Up    Down

L´âge moyen de nos patients était 54,23 ans avec des extrêmes allant de 27 à 81 ans. Le sexe masculin était majoritaire avec un sexe ratio H/F=1,15. 30% des cas avaient des antécédents de cancer. Les circonstances de découverte étaient le syndrome occlusif chez 83,87%, douleur abdominale avec contracture 12,9% et fistule cutanée avec issue de pus 3,23%. Le scanner avait révélé des localisations tumorales au niveau des sites suivants: colorectale (non perforées 77,42% contre 6,45% perforée), gastriques perforées ou fistulisées (6,45%), pancréatique envahissant le transverse (3,23%), vésicale envahissant le sigmoïde avec hernie interne (3.23%) et cervicale utérine envahissant le rectum (3,23%). L´extension locale était présente chez 93,6% des patients et métastatique au niveau hépatique et/ou péritonéale dans 100% des cas. Les principaux diagnostics urgentes étaient une occlusion 83,87%, une perforation gastrique 6,45% (Figure 1), colique 6,45% ou d´une fistule gastro-cutanée abcédée 3,23%. Le geste opératoire a consisté en une colostomie sur baguette chez 51,61%, Hartmann 6,45%, suture gastrique (+/- après intubation de la perforation par une sonde de Foley) puis drainage large 6,45% (Figure 2), réduction de hernie interne de la fossette sigmoïdienne 3,23%. Sept patients soit 22,58% ont bénéficié d´un traitement médical par corticoïde, la prothèse colique chez 6,45% des patients et drainage radiologique chez 3,23%. L´évolution sur 12 mois de recule était favorable chez 90,30% des patients qui étaient sous traitement palliatif contre 9,68% de décès.

 

 

Discussion Up    Down

Les urgences de la chirurgie viscérale constituent une part importante des activités du service des urgences. L´abdomen aigu chirurgical quel que soit l´étiologie, pose toujours un problème de la prise en charge surtout dans les hôpitaux du tiers-monde [2]. Ainsi, le nombre de patients atteints de cancer admis aux urgences est en nette augmentation car l´évolution des cancers est souvent émaillée de situations urgentes. L´oncologie digestive est la première cause de consultation aux urgences avec 20,3% des patients cancéreux. Les principaux signes sont le syndrome occlusif et la perforation [3]. Selon notre étude, les circonstances de découvertes étaient le syndrome occlusif chez 83,87%, douleur abdominale avec contracture 12,9% et fistule avec issu de pus chez 3.23%. Le scanner abdominal est l´examen clé dans le contexte urgent car il est accessible, peu cher, non invasif, rapide et fiable. Plusieurs études ont montré l´apport essentiel de la TDM abdominale à la fois en termes de coût et de diminution de la durée d´hospitalisation dans le diagnostic des douleurs abdominales, en particulier chez le sujet âgé [4]. Dans le cadre d´un bilan d´extension et pré-thérapeutique, elle joue aussi un rôle important car elle peut mettre en évidence des métastases hépatiques, un envahissement locorégional, et une carcinose péritonéale [5, 6]. Pour les différents examens radiologiques, les données de la littérature confirment ceux de notre étude, qui a montré aussi qu´en urgence, la TDM abdominale est l´examen clé pour le diagnostic des cancers digestifs ainsi que leur bilan d´extension. Ainsi, dans notre série la TDM abdominale a été réalisé chez tous nos malades en révélant soit le diagnostic d´un cancer d´origine digestif et ou extra digestive avec envahissement intestinal par contiguïté [7]. La réalisation en urgence d´une endoscopie digestive est parfois nécessaire pour des gestes surtout thérapeutiques, par exemple: la pose d´une prothèse colique en cas d´occlusion sur cancer colique [7]; et d´hémorragie digestive sur cancer [8]. Donc, l´endoscopie digestive en urgence a acquis depuis de nombreuses années une place importante dans le traitement, car les interventions chirurgicales en cancérologie digestive sont lourdes de conséquence surtout chez les patients en mauvais état général [9]. Les résultats de notre étude confirment aussi que l´endoscopie digestive n´a pas de rôle diagnostique important aux urgences, puisqu´elle n´était demandée en urgence que chez 6,45% de nos patients dans un cadre thérapeutique.

 

La majorité des tableaux cliniques des cancers digestifs qui constituent des motifs de consultations aux urgences nécessitent une intervention chirurgicale. Cependant, le traitement médical garde sa place dans la plupart des cas, soit pour stabilisation et préparation des patients avant la chirurgie, ou comme tentative de traitement non chirurgical qui est possible en absence de signes de gravité pendant 24 à 72 heures, soit chez les malades dont le pronostic de vie à court terme est mauvais. Dans la majorité des cas, l´acte chirurgical en urgence n´est qu´un traitement palliatif quel que soit le siège du cancer digestif, car les tableaux urgents sus cités ne compliquent qu´une néoplasie digestive souvent à stade avancé. Cette intervention chirurgicale peut être rarement curative en absence de métastases, et avec un cancer résécable. La voie de la laparotomie médiane est la seule voie d´abord devant un syndrome occlusif, une invagination intestinale, ou une perforation, quel que soit le siège. Les différents gestes chirurgicaux réalisés sont les suivants: une stomie avec ou sans résection, une résection avec anastomose, une dérivation interne, ou une chirurgie exploratrice [10]. Cette voie d´abord est préférée pour ces interventions urgentes car elle permet de faire un bilan d´extension complet de la maladie [11, 12]. Quant à notre étude, tous les malades opérés avaient bénéficié d´une laparotomie. La prise en charge en urgence des occlusions intestinales par cancer doit être adaptée au siège de la tumeur, à son stade, à l´état du patient et à l´expérience du chirurgien [13]. Pour les cancers coliques, la perforation est une complication peu fréquente. Dans une étude rétrospective espagnole portant sur 378 cancers coliques, 36 patients (9,5%) s'étaient présentés avec un tableau de perforation [14]. Si la prise en charge des formes occlusives du cancer colique est soumise à une large discussion, la prise en charge des formes perforées est consensuelle et va consister en un geste de résection en urgence, sans anastomose en cas de péritonite (colostomie de Hartmann). Concernant notre étude, la colostomie sur baguette a été la plus effectuée chez nos malades (51,61%). Le Hartmann n´a été réalisé que chez 6,45% des patients qui ont bénéficié d‘une sigmoïdectomie de propreté. La survie médiane de ces patients a régulièrement augmenté ces dernières années et dépasse désormais deux ans pour de nombreuses tumeurs métastatiques colon-rectum, tumeurs stromales. La mortalité postopératoire varie de 5 à 30% [1]. L´évolution sur 12 mois de recule était favorable chez 90,30% de nos patients qui étaient sous traitement palliatif contre 9,68% de décès.

 

 

Conclusion Up    Down

La chirurgie palliative garde sa place chez ces malades en urgence abdominale sur cancer avancé en les conférant un confort et une certaine survie. Cependant une collaboration multidisciplinaire serait importante pour la prise en charge adéquate de ces patients, mais l'urgence de la situation rend cette tâche difficile en pratique.

Etat des connaissances sur le sujet

  • Ces patients en urgence oncologique avancée ont une espérance de vie limitée;
  • Les modalités de leur prise en charge sont nombreuses et variées: chirurgicale, médicale et interventionnelle;
  • Les avantages et limites de ces moyens thérapeutiques doivent être pesés.

Contribution de notre étude à la connaissance

  • Notre étude encourage la mise en place d´une réunion de concertation pluridisciplaire;
  • D´urgence pour une meilleure priorisation des différents traitements;
  • Ne pas hésiter d´opérer ces malades à chaque fois que c´est nécessaire.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont contribué à cet article. Ils ont lu et approuvé la version finale de cet manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1: perforation tumorale de l´estomac

Figure 2: intubation de la perforation gastrique par une sonde de Foley (flèche bleue). Suture de la perforation gastrique “flèche jaune” avec maintien de la sonde de Foley en intragastrique (paroi gastrique très friable ne tenant pas bien la suture). Drainage de contact large par 2 lames de Delbet (flèche verte)

 

 

Références Up    Down

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