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Case report

Compression médullaire thoracique par ossification des ligaments jaunes: à propos d´un cas chez une femme africaine

Compression médullaire thoracique par ossification des ligaments jaunes: à propos d´un cas chez une femme africaine

Thoracic spinal cord compression due to ossification of the yellow ligaments: about a case in an African woman

Prince Parfait Ntankeu Tankoua1,&, Pihou Gbande1, Massaga Dagbe2, Mazamaesso Tchaou1, Komlanvi Adjenou3

 

1Service de Radiologie et Imagerie Médicale, Centre Hospitalier Régional de Sokodé, Hôpital de Tchaoudjo, Sokodé, Togo 2Service de Radiologie, Centre Hospitalier Universitaire de Kara, Kara, Togo, 3Service de Radiologie, Centre Hospitalier Universitaire du Campus, Lomé, Togo

 

 

&Auteur correspondant
Prince Parfait Ntankeu Tankoua, Service de Radiologie et Imagerie Médicale, Centre Hospitalier Régional de Sokodé, Hôpital de Tchaoudjo, Sokodé, Togo

 

 

Résumé

L´ossification des ligaments jaunes (OLJ) caractérisé par l´apparition des zones de métaplasie osseuse au sein du ligament jaune, le plus souvent au niveau du rachis dorsal, est une affection fréquente en Asie. Rarement rapportée chez les mélanodermes, elle serait favorisée par certains facteurs parmi lesquels figurent les endocrinopathies. Sa physiopathologie est encore mal connue. Le syndrome de compression médullaire qui est sa traduction clinique manque de spécificité. Son diagnostic est basé sur la tomodensitométrie (TDM) qui met en évidence une hyperdensité de tonalité calcique intéressant les ligaments jaunes. L´Imagerie par résonnance magnétique (IRM) évalue le retentissement médullaire de l´atteinte et établit le bilan lésionnel pré-thérapeutique. Cette dernière modalité conditionne dans la plupart des cas la prise en charge thérapeutique du patient.


The ossification of ligamenta flava, characterized by the occurrence of osseous metaplasia in the ligamentum flavum, especially in the thoracic spine, is common in Asia. This has been rarely reported in the black population; it would be favored by certain factors, including endocrinopathies. Its pathophysiology is still poorly elucidated. Medullary compression syndrome, that is its clinical manifestation, lacks of specificity. Diagnosis is based on CT scan, which shows a high density of the "tone" of calcium in ligamenta flava. Magnetic resonance imaging (MRI) is used to assess the medullary impact of the disease and pre-therapeutic lesion. In most cases, treatment is based on MRI results.

Key words: Spinal cord compression, ossification of ligamenta flava, CT scan, MRI, case report

 

 

Introduction    Down

La compression médullaire due à une ossification des ligaments jaunes est une entité rare, décrite essentiellement chez les asiatiques (japonais surtout) [1]. De plus la localisation thoracique est rarement retrouvée dans la littérature. Dans la littérature, moins d´une demie dizaine de cas ont été rapportées en Afrique noire [2]. Le diagnostic est posé à l´imagerie en coupe notamment la tomodensitométrie (TDM). L´Imagerie par résonance magnétique (IRM) quant à elle permet d´apprécier le degré d´atteinte médullaire. Nous rapportons un cas de compression médullaire causée par une calcification des ligaments jaunes diagnostiqué chez une femme noire, dans le but de rappeler les aspects diagnostiques cliniques et radiologiques de cette affection rare.

 

 

Patient et observation Up    Down

Information du patient: Mme O. E âgée de 50 ans, une togolaise, ménagère, sans antécédent contributif, ayant donné son consentement éclairé, présentait depuis quelques années des douleurs rachidiennes thoraciques d´intensité moyenne, de rythme mécanique. A ces douleurs ce sont rapidement associée une sensation de lourdeur des membres inférieurs de façon proportionnelle ce qui a motivé la consultation au service de neurologie du CHU de Kara.

Résultats cliniques: l´examen physique de cette patiente avait permis de mettre en évidence une raideur et des douleurs thoraciques d´intensité modérée à la palpation et à la percussion, une paraparésie symétrique et proportionnelle avec une force musculaire segmentaire côté à 3/5 en proximale et distale à droite comme à gauche. Les réflexes ostéo-tendineux étaient vifs aux membres inférieurs, avec un Babinski présent bilatéralement. On avait également noté une hypoesthésie de niveau T5-T6 et T9-T10. Le reste de l´examen physique était sans particularité.

Démarche diagnostique: une tomodensitométrie sans injection du rachis dorsal a mis en évidence un épaississement et calcification des ligaments jaunes de T5 et T9 mesurant respectivement 5mm et 5,6mm; réduisant le canal médullaire (d´environ 42% en T5 et 40% en T9) et comprimant le cordon médullaire (Figure 1). Le diagnostic d´ossification du ligament jaune de T5 et T9 comprimant le cordon médullaire a été posé.

Intervention thérapeutique et suivi: l´évolution sous un traitement antalgique est marquée par un soulagement transitoire de la symptomatologie douloureuse. La patiente est en attente d´une prise en charge chirurgicale.

Consentement éclairé: la patiente a donné son consentement éclairé et libre pour la rédaction et la publication de ce manuscrit.

 

 

Discussion Up    Down

Dans le diagnostic des compressions médullaires non traumatiques et non tumorales, la sténose canalaire par ossification des ligaments jaunes occupe une place particulière. Cette ossification des ligaments jaunes fait partie des maladies dégénératives du rachis dorsal, et peut être définie comme la présence inhabituelle de zones de métaplasie osseuse au sein du ligament jaune. La lésion ainsi formée, entraînant un rétrécissement du canal rachidien [3], est à l'origine de la symptomatologie des patients. Le rachis dorsal, comparé aux segments cervical et lombaire, est la portion de la colonne vertébrale où les affections dégénératives sont rares. Parmi ces dernières, l´OLJ, plus fréquent que la hernie discale thoracique, serait consécutive à l'ossification du ligament longitudinal postérieur de la colonne vertébrale [4]. C'est une affection qui touche les deux sexes [2], et qui est fréquemment rencontrée chez les sujets blancs ou jaunes, en Asie en général et au Japon en particulier, avec une fréquence de 20% chez les sujets de plus de 65 ans [4].

Seuls quatre cas ont été rapportés chez des sujets noirs, dont deux cas hors d'Afrique [3] et deux cas sur le continent africain, à savoir au Niger [2] et au Congo [3]. C'est cette rareté chez le sujet noir qui nous fait rapporter ce cas. La physiopathologie, encore mal connue, fait intervenir des facteurs intrinsèques (génétiques et alimentaires) [5] et extrinsèques (biomécaniques) [5], dont la part a été sous-estimée [3]. Ces facteurs seraient impliqués dans les modifications histologiques observées dans ces ligaments pathologiques, à savoir une perte des fibres élastiques associée à une prolifération des fibres de collagène, des calcifications et une ossification. Cette dernière est de type enchondral [6]. Son apparition serait favorisée par des facteurs tels que le diabète, l'hyperostose idiopathique, la maladie de Paget, les métastases d'adénocarcinome, les troubles du métabolisme calcique [3]. Le tableau clinique consiste en un syndrome de compression de la moelle épinière. Ce dernier est souvent insidieux et manque de spécificité sémiologique [6]. On retrouve les sous-syndromes qui composent le syndrome de compression médullaire, c'est-à-dire les syndromes rachidien, lésionnel et sous-lésionnel, associés de manière variable. Les douleurs radiculaires et l'hypoesthésie thermoalgésique sont rares [7]. Des cas avec un syndrome radiculaire comme seule manifestation clinique ont été rapportés [3].

Notre cas s'inscrit bien dans cette situation car la longue évolution est retrouvée, avec au premier plan une symptomatologie rachidienne sous lésionnelle. Si la première description faite par Polgar en 1920 était basée sur des radiographies standards [8], les moyens modernes d'imagerie médicale ont facilité son diagnostic [7]. Le scanner permet de mettre en évidence des lésions de densité osseuse au niveau capsulaire et interlaminal. Sato et al. [9] ont classé ces lésions en 5 types en fonction de leur évolution. Le type latéral, où l'ossification ne se trouve que dans la zone capsulaire. Le type étendu où il y a extension de l'ossification à la partie interlaminaire, mais la partie atteinte est encore mince; le type élargi avec épaississement de l'ossification qui s'élargit antéro-médialement. Dans le type fusionné, il y a fusion des masses ossifiées bilatérales au niveau de la ligne médiane. Le type tubéreux correspond à une croissance nodulaire de la masse ossifiée antérieurement. Ces différents types peuvent se retrouver chez un même sujet (comme chez notre patiente), surtout si le patient présente une atteinte à plusieurs niveaux. Il faut noter que plus l'ossification est avancée, plus le canal rachidien est sténosé. L'IRM en séquences pondérées en T2 montre des lésions hypointenses dans ces mêmes espaces [5,9,10]. Leur aspect compressif sur le fourreau dural et la réaction de la moelle en regard peuvent également être appréciés sur cet examen. Ce dernier élément, qui traduit la souffrance chronique de la moelle, constitue un facteur important dans le pronostic postopératoire des patients [4].

Dans notre cas, cet examen n'a pu être réalisé en raison de son indisponibilité et surtout du manque de moyens financiers du patient. Les localisations dorsales sont les plus fréquentes, avec une prédominance d'atteinte de la partie distale (T9-T12), puis de la partie supérieure (T1-T4) et enfin de la partie moyenne (T5-T8) [6]. Le niveau T10-T11 est le plus touché sur le segment distal [4]. Cette prédominance des localisations thoraciques la différencie d'une autre maladie dégénérative causée par une métaplasie calcifiante, à savoir la calcification du ligament jaune, qui est plus fréquente au niveau du rachis cervical et lombaire [7]. Si les cas découverts fortuitement peuvent bénéficier d'une surveillance, les cas symptomatiques doivent être traités [3]. La chirurgie est le seul traitement de cette affection [3]. Les procédures vont de la laminectomie à la laminotomie [4]. L'élimination du tissu compressif jusqu'aux foramines intervertébrales doit suivre la laminectomie. L'ablation de la dure-mère avec plastie doit également être effectuée en cas de calcification de la dure-mère [8]. Les laminotomies seraient indiquées dans les cas étendus et permettraient d'éviter les complications de la statique rachidienne thoracique comme la cyphose [3]. Certains proposent une fixation rachidienne pour éviter ces troubles statiques [4]. Les résultats sont satisfaisants dans les cas diagnostiqués et traités précocement. Un retard de diagnostic et de traitement, l'existence d'un signal médullaire à l'IRM et un saignement postopératoire important sont des facteurs qui ont un impact négatif sur l'évolution postopératoire [11,12]. Notre patient n'a pas encore bénéficié d'une prise en charge chirurgicale; conditionnée par la réalisation d'une IRM médullaire complémentaire.

 

 

Conclusion Up    Down

La compression médullaire due à une ossification des ligaments jaunes est une affection rare chez le sujet noir. Son diagnostic est basé sur la TDM. L´IRM évalue le retentissement médullaire de l´atteinte et établit le bilan lésionnel pré-thérapeutique. Cette dernière modalité reste peu accessible pour la plupart des citoyens africains et togolais en particulier, ce qui limite la prise en charge chirurgicale des patients.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont contribué à ce travail et ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figure Up    Down

Figure 1: tomodensitométrie (TDM): A) ossification du ligament jaune en reconstruction coupe axiale; B) sagittale

 

 

Références Up    Down

  1. Guesmi H, Lamouchi T, Mlaiki A, Ksira I, Tlili K, Krifa H. Calcification du ligament jaune du rachis cervical. Encycl Med Chir Neuro Chir. 2005;1106(6):563.

  2. Tankari A, Assoumane I, Ibrahim A, Issoufou O, Sawa B, Sanoussi S. Cas rare de compression médullaire causée par l'ossification du ligament jaune chez une noire africaine. Med Afr noire. 2021;6810:539-43.

  3. Boukassa L, Massamba D, Ekouélé-Mbaki HB, Ngackosso OB, Kinata S, Ngounda AS. Compression médullaire thoracique par ossification du ligament jaune chez le noir africain. Health Sciences and Disesases. 2018 ;19 (2):135-8. Google Scholar

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