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Case report

Cardiomyopathie dilatée : un mode de révélation peu fréquent du phéochromocytome

Cardiomyopathie dilatée : un mode de révélation peu fréquent du phéochromocytome

Dilated cardiomyopathy : a mode of uncommon revelation of pheochromocytoma

Mbarek Elkaouri1,&, Zakaria Ghoummid1, Mohammed Khallouki1

 

1Service des Urgences, Département d´Anesthésie Réanimation Urgences, Hôpital Ibn Tofail, CHU Mohammed VI, Marrakech, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Mbarek Elkaouri, Service des Urgences, Département d´Anesthésie Réanimation Urgences, Hôpital Ibn Tofail, CHU Mohammed VI, Marrakech, Maroc

 

 

Résumé

Le phéochromocytome est une tumeur neuroendocrine rare, sécrétant en excès des catécholamines et développé au dépend des cellules chromaffines de la médullosurrénale. La cardiomyopathie dilatée est une complication rare et souvent méconnue du phéochromocytome. Le diagnostic précoce et l´ablation chirurgicale du phéochromocytome sont primordiaux, alors que tout retard peut avoir des conséquences dramatiques. Nous rapportons l´observation d´une patiente âgée de 48 ans connue hypertendue et diabétique type 2 sous traitement, admise dans un tableau d´insuffisance cardiaque congestive aigue. Les examens paracliniques réalisés étaient en faveur d´un phéochromocytome compliqué d´insuffisance cardiaque et de cardiomyopathie dilatée. L´intérêt de ce travail est de souligner l´importance du diagnostic et du traitement précoces dans la prise en charge des phéochromocytomes compliqués de manifestations cardiovasculaires notamment la cardiomyopathie dilatée.


Pheochromocytoma is a rare tumor neuroendocrine which overproduce catecholamines and arise from the chromaffin cells of adrenal gland. Dilated cardiomyopathy is a rare and often unrecognized complication of pheochromocytoma. Early diagnosis and surgical removal of pheochromocytoma are essential, while any delay can have dramatic consequences. We report the case of a 48-year-old woman with known hypertension and type 2 diabetes who was admitted with acute congestive heart failure. The paraclinical examinations carried out were in favor of a pheochromocytoma complicated by cardiac insufficiency and dilated cardiomyopathy. The interest of this work is to emphasize the importance of early diagnosis and treatment in the management of pheochromocytoma complicated by cardiovascular manifestations, especially dilated cardiomyopathy.

Key words: Dilated cardiomyopathy, pheochromocytoma, heart failure

 

 

Introduction    Down

Le phéochromocytome et le paragangliome sont des tumeurs neuroendocrines rares qui produisent en excès les catécholamines et proviennent des cellules de la glande surrénale ou des cellules chromaffines extra-surrénaliennes des ganglions sympathiques et parasympathiques. La cardiomyopathie dilatée est une complication rare et souvent méconnue du phéochromocytome. Le diagnostic précoce et la résection du phéochromocytome sont cruciaux, alors que le retard du diagnostic peut avoir des conséquences dramatiques. Le but de ce travail est de mettre le point sur cette pathologie surrénalienne qu´on doit suspecter devant toute cardiomyopathie dilatée sans étiologie évidente.

 

 

Patient et observation Up    Down

Nous rapportons le cas d´une patiente âgée de 48 ans, connue comme diabétique de type 2 depuis 7 ans sous insuline, hypertendue depuis 2 ans sous amlodipine. La patiente a été admise initialement aux urgences dans un tableau d´insuffisance cardiaque globale à prédominance gauche décompensée par une infection respiratoire. L´examen clinique a trouvé une patiente consciente, stable sur le plan hémodynamique, normotendue à 119/65 mmhg, tachycarde à 100 battements/min, orthopédique, dyspneique, avec présence d´une turgescence des veines jugulaires, d´un reflux hépato-jugulaire, des œdèmes des membres inferieurs, des râles crépitants basithoraciques, abdomen distendu avec hépatomégalie. L´électrocardiogramme a montré un rythme régulier sinusal à 105/min, un axe du cœur normal, une hypertrophie auriculaire gauche, un rabotage de l´onde R en antérieur, une hypertrophie ventriculaire gauche, des ondes T aplaties en inféro-latéral. La radiographie de thorax a objectivé une cardiomégalie, un syndrome alvéolo-interstitiel bilatéral, un foyer basithoracique droit et un épanchement liquidien de faible abondance. Une échocardiographie a été également faite, qui a montré un ventricule gauche (VG) dilaté, non hypertrophié avec un diamétre télédiastolique à 56 mm, une hypokinésie globale, une dysfonction systolique sévère du VG avec une fraction d´éjection du VG à 35%, une insuffisance mitrale modérée, une dilatation auriculaire gauche, une hypertension artérielle pulmonaire à 51 mmhg, veine cave inférieur dilatée non compliante (Figure 1).

Devant la symptomatologie clinique, une échographie abdomino-pélvienne réalisée a montré une masse surrénalienne de 50 Ã-60 mm, ovalaire, bien limitée, hyperéchogène, hétérogène, vascularisée au doppler couleur. Ces données ont fait suspecter un phéochromocytome compliqué de cardiomyopathie dilatée d´où la réalisation d´un bilan biologique spécifique et une tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne. Cette dernière a montré une masse surrénalienne gauche hétérogène mesurant 45 à - 47 à - 57 mm. Cette masse est rehaussée de façon hétérogène après injection du produit de contraste, avec délimitation d´une zone de nécrose centrale (Figure 2). Le dosage des cathécholamines et métanephrines a montré une augumentation de la normétanephrine et de la noradrénaline (21,41 mg/24h (normal : 0,07-0,35), 513 µg/24h (normal : <53 µg/24h) respectivement), alors que les taux de l´adrénaline et de la métanéphrine étaient normaux. La prise en charge initiale a consisté à la mise en condition de la patiente, oxygénothérapie, la mise en route d´un traitement médical basé sur les diurétiques de l´anse en intraveineux (furosémide) et épargneurs de potassium (spirinolactone), les inhibiteurs de l´enzyme de conversion (ramipril), l´antibiothérapie à base d´amoxicilline, acide clavulanique avec contrôle de son diabète. Les bétabloquants ont été introduits après stabilisation. La patiente a été déclarée sortante après 10 jours d´hospitalisation avec bonne évolution sous traitement médical. Une chirurgie du phéochromocytome a été programmée mais la patiente est décédée à domicile sans cause déterminée.

 

 

Discussion Up    Down

La Cardiomyopathie dilatée (CMD) rarement secondaire à un phéochromocytome a été suspectée dès 1906 par Pearce par la mise en évidence après injection d´adrénaline des lésions de myocardite chez des animaux morts [1]. Les mêmes lésions ont été observées chez des malades atteints de phéochromocytome ou traités par adrénaline pour des états de chocs [2, 3]. Dans la cardiomyopathie dilatée, des mécanismes adaptatifs apparaissent suite à la stimulation sympathique des myocytes, notamment la désensibilisation qui résulte de l'internalisation du récepteur Î2. Malgré ces mécanismes, une imprégnation prolongée à des catécholamines entraîne une fibrose interstitielle, une apoptose myocytaire et une dysfonction contractile secondaire à un remodelage structurel conduisant aux différents phénotypes de cardiomyopathie observés dans les cas de cardiomyopathie dilatée [4]. Le dépistage du phéochromocytome ne se fait que chez des patients présentant des symptômes caractéristiques, dont l´hypertension artérielle (HTA) qui n´est pas constante constitue le signe cardinal [5]. D´autres manifestations cardiovasculaires moins courantes comme l'insuffisance cardiaque aiguë, l'infarctus du myocarde, l'angine de poitrine, les arythmies et la cardiomyopathie dilatée, peuvent révéler ou compliquer cette pathologie et qui sont la conséquence soit du retentissement de l´HTA, soit de l´imprégnation catécholaminergique prolongée [6].

Une revue de littérature concernant 163 cas de phéochromocytome et de cardiomyopathie, colligés à partir de 150 articles publiés entre 1991 et 2016 sur pubmed a montré que les personnes atteintes de cardiomyopathie dilatée présentaient une prévalence plus élevée de l'hypertension par rapport au Takotsubo, à la myocardite et aux sous-types de cardiomyopathies, avec une prévalence de 83% [5]. La sécrétion prédominante de l´adrénaline, l'inactivation de la noradrénaline dans la tumeur ou la tolérance des récepteurs tissulaires aux catécholamines circulantes peuvent expliquer l´absence d'hypertension chez certains patients atteints de phéochromocytome [7]. Dans notre cas, la normétanephrine et la noradrénaline étaient élevées, ce qui explique la présence d´hypertension artérielle traitée chez notre patiente, alors que les taux de l´adrénaline et de la métanéphrine étaient normaux. Seuls 4% des phéochromocytomes et des cardiomyopathies présentaient la triade classique palpitations, céphalées et sueurs. Les cardiomyopathies dilatées présentaient une prévalence plus élevée d'insuffisance cardiaque congestive lors de la présentation initiale dans 22% des cas par rapport aux autres sous-types [5].

C´est le cas de notre patiente chez qui le phéochromocytome a été révélé par une décompensation cardiaque globale congestive. Les signes électrocardiogramme (ECG) de toxicité précoce du myocarde par les catécholamines comprennent une déviation de l´axe droit, une hypertrophie ventriculaire, une faible progression de l´onde R, des ondes P anormalement amples, des ondes T de faible amplitude ou inversées et d´autres modifications décrites dans la littérature [8-12]. La tachycardie supraventriculaire est plus fréquente que la tachycardie ventriculaire [13]. L'arythmie en cas de phéochromocytome et cardiomyopathie induite par les catécholamines est une complication non rare de l'insuffisance cardiaque [14]. Dans notre cas, l´arythmie était probablement la cause du décès. L´échocardiographie peut montrer une diminution diffuse de la contractilité, une dilatation ventriculaire gauche, une fraction d'éjection réduite et une dilatation auriculaire gauche [11, 15]. Les pressions ventriculaire gauche et artérielle pulmonaire moyenne chez les patients présentant un œdème pulmonaire cardiogénique causé par une cardiomyopathie induite par la catécholamine sont augmentées [16].

L´échocardiographie réalisée chez notre patiente a objectivé presque les mêmes anomalies décrites dans la littérature. Le diagnostic biologique doit être fait avant de démarrer les explorations radiologiques, en cas de négativité, il est recommandé de réaliser une tomodensitométrie ou une Imagerie par résonance magnétique (IRM) pour visualiser les glandes surrénales ou des lésions extra-surrénaliennes [6]. Dans la phase aiguë, la prise en charge initiale se base sur l´oxygénothérapie et la stabilisation hémodynamique. Les alpha bloquants à courte durée d'action comme la phentolamine et les liquides administrés peuvent être utilisés pour améliorer l´état hémodynamique. Après stabilité hémodynamique la phentolamine peut être remplacée par la phénoxybenzamine dont l´efficacité a été prouvée dans plusieurs rapports de cas, et par un Î2-bloquant tel que le propranolol, en particulier pour corriger la tachycardie [17-19]. L´inhibiteur de l´enzyme de conversion comme le captopril, a montré son efficacité dans l´insuffisance ventriculaire gauche ainsi que son pouvoir d´éliminer les radicaux libres, qui contribuent à la pathogenèse de la cardiomyopathie induite par les catécholamines [20].

Le traitement chirurgical doit être différé jusqu'au contrôle de la pression artérielle et l´amélioration de la fonction ventriculaire. La surrénalectomie et l'ablation de la tumeur entraînent une résolution presque complète des symptômes et une amélioration considérable de la fonction ventriculaire gauche [11]. Dans l´étude de Rong Zhang [5], la résection du phéochromocytome a entraîné une amélioration de la cardiomyopathie dans 96% des cas, tandis que l'absence de résection était associée à la mort ou à une transplantation cardiaque dans 44% des cas. Notre patiente est décédée sans qu´elle bénéficie d´un traitement chirurgical après stabilisation de sa cardiopathie. Le pronostic en cas de cardiomyopathie associée à un phéochromocytome dépend de la précocité du diagnostic et du traitement médical et chirurgical. La réversibilité de la cardiomyopathie après ablation du phéochromocytome a été rapportée dans plusieurs cas et ne se voit qu´en cas de minimes dommages du myocarde et absence de fibrose myocardique généralisée [11, 15].

 

 

Conclusion Up    Down

L´insuffisance cardiaque congestive aiguë et la cardiomyopathie dilatée sans étiologie évidente doit faire suspecter un phéochromocytome potentiel. L´absence de la triade classique évocatrice ne permet pas de l´exclure. L´intérêt de notre étude est de souligner l´importance de la précocité du diagnostic et du traitement du phéochromocytome, car tout retard peut avoir des conséquences dramatiques comme le cas de notre patiente. Le traitement médical et chirurgical précoce pourrait potentiellement inverser la cardiomyopathie et diminuer significativement la morbidité et la mortalité associées.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1 : images d´échocardiographie transthoracique en coupe parasternale grand axe et Apicale 4 cavités montrant un aspect de cardimyopathie dilatée en dysfonction systolique moyenne du VG avec dilatation auriculaire gauche

Figure 2 : coupe scannographique abdominale montrant une masse surrénalienne gauche hétérogène mesurant 45 Ã-47 Ã- 57 mm avec une zone de nécrose centrale

 

 

Références Up    Down

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