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La gestion peropératoire des complications vasculaires de la voie ilio-inguinale dans la chirurgie des fractures acétabulaires

La gestion peropératoire des complications vasculaires de la voie ilio-inguinale dans la chirurgie des fractures acétabulaires

Intraoperative management of vascular complications of ilioinguinal approach for the surgical treatment of acetabular fractures

Adnane Lachkar1,&, Abdeljaouad Najib1, Hicham Yacoubi1

 

1Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie B, Centre Hospitalier Universitaire CHU Mohamed VI, Oujda, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Adnane Lachkar, Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie B, Centre Hospitalier Universitaire CHU Mohamed VI, Oujda, Maroc

 

 

Résumé

La voie ilio-inguinale constitue un excellent choix pour aborder les fractures antérieures et transverses du cotyle au prix d´une difficulté technique non négligeable. Nous rapportons trois observations de patients opérés pour des fractures acétabulaires par cette voie d´abord et qui ont présenté des complications vasculaires peropératoires. La première observation concerne une hémorragie veineuse par brèche osseuse lors des manœuvres de réduction. La deuxième intéresse un saignement par atteinte accidentelle de la corona-mortis. La troisième décrit le spasme de l´artère iliaque externe nécessitant un remplacement par une prothèse vasculaire. Le but de ce travail est d´exposer les challenges et dangers vasculaires de cet d´abord, afin de conclure par des recommandations pratiques dans l´objectif de simplifier cette voie séduisante et exigeante aux complications dramatiques.


Ilioinguinal approach is an excellent treatment option in patients with anterior and transverse fractures of the acetabular cup despite the significant technical difficulty. We report three cases of patients undergoing surgical treatment of acetabular fractures by ilioinguinal approach with intraoperative vascular complications. The first case refers to a patient with venous bleeding due to bone fracture during fracture reduction. The second case refers to a patient with bleeding due to accidental cut of corona-mortis. The third case refers to a patient with spasm of the external iliac artery requiring replacement with vascular prosthesis. The purpose of this study was is to highlight the vascular challenges and risks of this surgical approach in order to give practical guidelines to simplify this attractive but difficult surgical approach with dramatic complications.

Key words: Ilioinguinal approach, acetabular fractures, corona mortis, vascular complications

 

 

Introduction    Down

La voie ilio-inguinale a été introduite et développée initialement par Letournel au début des années 1960 [1]. Cette approche constitue un excellent choix qui offre une bonne exposition peropératoire du cotyle s´étendant de la colonne antérieure jusqu´à la partie supérieure de la colonne postérieure; elle permet ainsi d´obtenir de bons résultats fonctionnels avec des mains habiles tout en constituant un grand challenge au chirurgien débutant [2]. Nous rapportons trois observations de patients opérés pour des fractures acétabulaires par cette voie d´abord et qui ont présenté des complications vasculaires peropératoires dans l´objectif d´exposer les dangers vasculaires et difficultés techniques peropératoires de cet d´abord, afin de conclure par des recommandations pratiques tirées de la littérature et surtout de notre expérience pour simplifier cette voie séduisante et exigeante aux complications dramatiques.

 

 

Méthodes Up    Down

Il s´agit de trois cas de patients opérés pour des fractures acétabulaires complexes par voie d´abord ilio-inguinale, et qui ont présenté des complications vasculaires peropératoires.

 

 

Résultats Up    Down

Le premier patient était âgé de 34 ans, victime d´un renversement de camion. Il avait présenté une fracture bi-colonne de son cotyle gauche (Figure 1). L´intervention était effectuée sous anesthésie générale. Lors des manœuvres de la réduction osseuse, une hémorragie veineuse avait survenue brutalement imposant l´exploration chirurgicale minutieuse des axes vasculaires. Il s´agissait d´une brèche osseuse au dépend du cotyle responsable d´une lésion de la veine iliaque externe. La réparation a été effectuée par des sutures termino-terminales. La deuxième observation concerne un patient âgé de 22 ans, victime d´un accident de moto. Son bilan d´imagerie avait objectivé une fracture de la colonne antérieure associée à une hémi-transverse postérieure (Figure 2). Lors de la dissection chirurgicale, un saignement brusque s´était produit. Celui-ci dépendait d´une variation anatomique de la corona-mortis qui a été contrôlée et ligaturée (Figure 3). Le troisième cas était celui d´une jeune fille de 21 ans heurtée par une voiture. Le bilan radiologique avait montré une fracture complexe des deux colonnes du côté gauche (Figure 4). Par voie d´abord ilio-inguinale, la patiente avait bénéficié d´une ostéosynthèse par plaque vissée. À la fin du geste, elle avait présenté un spasme de l´artère iliaque externe pour lequel on avait réalisé une embolectomie à la sonde de Fogarty. Une heure après la fermeture, la patiente souffrait d´un membre froid avec absence des pouls distaux, imposant la réalisation d´un angioscanner-en urgence-montrant l´interruption du flux artériel au niveau de l´artère fémorale commune. En concertation avec l´équipe de chirurgie vasculaire, la patiente a été réacheminée au bloc opératoire pour la mise en place d´un remplacement prothétique de son artère fémorale commune (Figure 5). Les suites opératoires des trois patients ont été simples et les résultats fonctionnels ont été satisfaisants.

 

 

Discussion Up    Down

La voie ilio-inguinale convient à toutes les fractures antérieures du cotyle (paroi antérieure, colonne antérieure ou colonne antérieure avec hémi-transverse postérieure) [2-4]. Elle peut être également utilisée par des mains expérimentées pour traiter les fractures bi-colonnes quand la composante postérieure consiste en un seul grand fragment. Enfin, cette approche est utilisée pour les fractures transverses, ou les fracture en T dans lesquelles la rotation et le déplacement du fragment transversal sont antérieurs [3-5]. Les trois fenêtres de travail (interne, moyenne et externe) décrites par Judet et Letournel [1] offrent une exposition exo et endoplevienne des deux tiers antérieurs de l'aile iliaque, de l'articulation sacro-iliaque antérieure, de la colonne antérieure entière et de la symphyse pubienne jusqu´à l'espace rétro-pubien de Retzius. L´un des inconvénients majeurs de la voie ilio-inguinale est l´éventuel risque d´endommagement des vaisseaux fémoraux [1,3,6]. On peut cependant décrire deux types de lésions iatrogènes: directes et indirectes. Les lésions directes surviennent le plus souvent lors de la dissection du pédicule fémoral qui peut être parfois difficile (pédicule et/ou branches collatérales piégés dans la comminution osseuse, repères anatomiques modifiés à cause de la fracture, brèche osseuse entrainant une hémorragie-souvent veineuse-foudroyante dès les premières manipulations du pédicule) [7].

Les lésions indirectes sont secondaires aux lacérations et thromboses induites par les écarteurs ou lacs lors des manœuvres de traction excessive ou prolongée [7]. La gravité de ces complications, pouvant mettre en jeu le pronostic vital du patient, impose la vérification peropératoire répétitive et systématique de la bonne perméabilité du pédicule fémoral. Il est cependant préférable d´être accompagné d´un chirurgien vasculaire préparé dans la salle opératoire pour intervenir au moindre pépin. Dans le post-opératoire immédiat et au moindre doute, l´angioscanner trouve tout son intérêt à la recherche d´une diminution ou interruption du flux sanguin imposant un geste chirurgical dans l´urgence, pouvant aller jusqu´au remplacement prothétique vasculaire. Enfin, il faut faire attention aux dissections excessives autour de la veine iliaque externe pour ne pas léser les vaisseaux lymphatiques avoisinants [1,7]. La définition exacte de la corona-mortis est hétérogène dans la littérature [8-11]; ceci a entrainé de grandes divergences dans les études portant sur cette circulation collatérale. Darmanis [8] l´a décrite comme une anastomose vasculaire entre l´artère iliaque externe et l´artère obturatrice située derrière la branche pubienne supérieure dans l'espace de Retzius. En variante, ce vaisseau peut représenter l´origine de l´artère obturatrice issue exclusivement de l´artère iliaque externe.

Les estimations de la prévalence d'une origine anormale de l'artère obturatrice varient aux alentours de 40% [8,10,11]. Aussi, il faut souligner que cette couronne de la mort varie énormément selon qu'il s'agisse d'une connexion artérielle ou veineuse, ou des deux, ainsi que de sa latéralité, son côté et sa distance par rapport à la symphyse pubienne. Les taux de prévalences rapportés des types veineux et artériels de corona mortis sont également très variables. Les études récentes estiment que le type veineux est systématiquement plus fréquent que le type artériel. La distance de cette anastomose est très variable de la symphyse pubienne, avec des moyennes allant de 21 mm [10] à 90 mm [11]. En peropératoire, la corona-mortis peut être prise dans les fragments fracturaires (fractures de la colonne antérieure) déclenchant ainsi une hémorragie importante dès les premières manœuvres de réduction osseuse. En outre, une lacération minime de cette circulation collatérale peut entraîner l´hémorragie cataclysmique, car les vaisseaux anastomotiques connectent deux systèmes à volume élevé et qui peuvent se rétracter dans le canal obturateur entrainant un saignement incontrôlable et même le décès [12]. Une connaissance anatomique détaillée de sa prévalence, de ses connexions anastomotiques variables et de ses caractéristiques morphologiques est donc essentielle pour réduire les risques d'erreurs iatrogènes avant d´entailler la voie ilio-inguinale.

Il convient également de souligner le rôle du radiologue qui devrait alerter le chirurgien sur les données radio-anatomiques préopératoires concernant cette corona-mortis, afin d´illustrer la technique chirurgicale appropriée pouvant réduire le risque de lésions peropératoires de cette anastomose de la mort. Avant d´entamer la voie d´abord ilio-inguinale, quelques conseils nous semblent précieux à suivre: dès le début de la dissection et durant tous les temps opératoires, il faut éviter les tractions excessives; la séquence de préparation des trois fenêtres pourrait varier en fonction du type de fracture et de la reconstruction envisagée; l'identification et la dissection de la bandelette ilio-pectinée est l'étape clé de la procédure; il faut surtout éviter les dissections excessives au niveau de la veine iliaque externe; la paroi veineuse étant fragile et toute lésion-minime qu´elle soit-peut facilement s´étendre entrainant une hémorragie foudroyante difficilement contrôlable; il faut toujours penser à la flexion de la hanche pour détendre les structures antérieures à l'articulation; des saignements importants peuvent se produire à travers les fragments osseux. Cela s'arrête généralement après la réduction des fractures; il est souhaitable d´utiliser de la cire à os pour arrêter le saignement des vaisseaux nutritifs de l'os iliaque. Ceci, en association à la mise en place de multiples drains, contribue amplement à la prévention de constitution d´hématomes postopératoires.

 

 

Conclusion Up    Down

Les avantages d´exposition de la voie d´abord ilio-inguinale pour les fracture antérieures du cotyle sont bien décrits et connus. Toutefois, les risques vasculaires rencontrés avec cet abord le rendent tellement délicat et mystérieux. La préparation minutieuse et multidisciplinaire faisant impliquer étroitement le chirurgien orthopédiste, le chirurgien vasculaire, le radiologue et l´anesthésiste-réanimateur s´impose comme seul bouée de sauvetage minimisant les dangers de cette chirurgie.

Etat des connaissances actuelle sur le sujet

  • La difficulté de la voie ilio-inguinale;
  • Les risques de saignement peropératoire foudroyant;
  • L´existence de variations anatomiques concernant la corona-mortis.

Contribution de notre étude à la connaissance

  • La gestion des complications vasculaires peropératoires pouvant entrainer le décès;
  • Les astuces de préparation et prévention préopératoire pour éviter les complications vasculaires liées à la voie d´abord ilio-inguinale lors de la chirurgie acétabulaires.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Adnane Lachkar: auteur principal; Abdeljaouad Najib: professeur de chirurgie orthopédique, opérateur et co-auteur principal; Hicham Yacoubi: professeur de chirurgie orthopédique, opérateur et encadrant du travail actuel. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1: fracture complexe du cotyle (deux colonnes)

Figure 2: fracture complexe du cotyle (colonne antérieure avec hémi-transverse postérieure)

Figure 3: aspect peropératoire de la corona-mortis ligaturée

Figure 4: fracture complexe du cotyle avec protrusion acétabulaire

Figure 5: aspect peropératoire de la prothèse vasculaire

 

 

Références Up    Down

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