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Case report

La maladie de Ledderhose chez l'épileptique

La maladie de Ledderhose chez l´épileptique

Ledderhose´s disease in patients with epilepsy

Adnane Lachkar1,&, Achraf Tebbaa El Hassali1, Hicham Yacoubi1, Abdeljaouad Najib1

 

1Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie B, CHU Mohamed VI, Oujda, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Adnane Lachkar, Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie B, CHU Mohamed VI, Oujda, Maroc

 

 

Résumé

La maladie de Ledderhose est un trouble hyperprolifératif responsable de la formation de nodules dystrophiques au niveau de l´aponévrose plantaire superficielle. Elle peut s´associer à d´autres pathologies telles la maladie de Dupuytren, la lapeyronie, le diabète ou la dépendance à l´alcool. Nous rapportons le cas d´une association pathologique rare faite de maladie de Ledderhose, de Dupuytren et de prise de barbituriques chez une patiente épileptique. Les résultats du traitement conservateur bien conduit pendant plus de 6 mois n´ont pas été satisfaisants. Une fasciectomie complète est réalisée avec de bons résultats fonctionnels sans notion de récidive. L´association entre épilepsie et fibromatose palmoplantaire est rarissime. Le rôle de barbituriques dans la médiation de facteurs de croissance tissulaire expliquerait en théorie ce trouble hyperprolifératif de l´aponévrose plantaire. L´association entre fibromatose et médiateurs de croissance cellulaire évoque de nouvelles approches visant la modulation de ces derniers pour un meilleur contrôle thérapeutique.


Ledderhose disease is a hyperproliferative disorder responsible for the formation of dystrophic nodules at the level of the superficial plantar aponeurosis. It may be associated with other diseases such as Dupuytren´s contracture, Peyronie´s disease, diabetes or alcohol dependence. We here report the case of a rare pathological association between Ledderhose´s disease, Dupuytren´s contracture and barbiturates in a female patient with epilepsy. Appropriate conservative treatment of more than 6-month didn´t give satisfactory results. Complete fasciectomy was performed with good functional results, without recurrence. The association between epilepsy and palmoplantar fibromatosis is very rare. The role of barbiturates as mediators of connective tissue growth factors could explain this hyperproliferative disease of plantar aponeurosis. The association between fibromatosis and cell growth mediators evokes new approaches aiming to modulate these latter for better therapeutic control.

Key words: Ledderhose´s disease, palmoplantar fibromatosis, epilepsy

 

 

Introduction    Down

La maladie de Ledderhose est un trouble hyperprolifératif rare d'origine inconnue responsable de la formation de nodules dystrophiques au niveau de l´aponévrose plantaire superficielle [1]. Elle a été décrite initialement par le médecin allemand Georg Ledderhose en 1897 [2]. C´est une pathologie rarissime dont l´incidence est estimée à moins de 0,23% de la population générale [1]. Elle touche préférentiellement les sujets entre 30 et 50 ans avec une nette prédominance masculine (sex-ratio à 2:1) [1]. Cette maladie peut atteindre les deux pieds dans 25% des cas comme elle peut être associée à d´autres pathologies telles que la maladie de Dupuytren, la fibromatose pénienne ou maladie de la lapeyronie, le diabète sucré, l´épaule gelée ou encore la dépendance à l'alcool [1]. Nous rapportons ici un cas rare d´association pathologique comprenant la maladie de Ledderhose, la maladie de Dupuytren chez une patiente suivie pour épilepsie idiopathique.

 

 

Patient et observation Up    Down

Il s´agit d´une femme âgée de 35 ans qui consulte pour des nodules douloureux au niveau de la plante des deux pieds et de la paume de la main droite. Leur évolution est estimée à plus de 5 ans. La gêne fonctionnelle s´aggrave notamment à la marche ou à la position debout prolongée. Ses antécédents familiaux médicaux sont sans particularités ; par ailleurs la patiente rapporte la notion d´épilepsie idiopathique pour laquelle elle est mise sous bithérapie (phénobarbital et valproate de sodium) depuis l´âge de 7 ans. À l'examen clinique on trouve deux nodules durs dans la partie médiane de la voûte plantaire droite dont le plus volumineux est de deux centimètres de diamètre. Sur le côté gauche on trouve un seul nodule isolé faisant moins d´un centimètre de diamètre (Figure 1, Figure 2). Ces nodules sont durs, douloureux à la palpation et adhérents à la peau plantaire. Elle présente également un épaississement fibrotique du fascia palmaire de la main droite. Effectivement, on trouve une bride digitale centrale avec un léger déficit d´extension intéressant la métacarpo-phalangienne et l´interphalangienne proximale des 4e et 5e doigts ainsi qu´au niveau du pli de flexion du pouce (Figure 3). Le reste de l´examen clinique est sans particularité. Les examens biologiques de routine sont également sans particularité. Le diagnostic de fibromatose palmoplantaire est posé et un traitement conservateur (anti-inflammatoires, semelles, cryothérapie…) est administré pendant 6 mois sans amélioration notable. La prise en charge chirurgicale du pied droit est alors indiquée (fasciectomie plantaire totale).

L´incision cutanée plantaire est en forme de S incurvée avec une dissection minutieuse pour éviter toute lésion cutanée (Figure 4). L'aponévrose plantaire est ensuite isolée et excisée (Figure 5). Finalement, la peau est suturée sans tension par des points simples. Le reste de la procédure consiste en l´excision de la bride palmaire centrale et celle en regard du 1er rayon par un abord longitudinal en zigzag digitopalmaire complété par une plastie en VY (Figure 6). L´appui est autorisé à partir de la 3e semaine après l´ablation des points de sutures. Les suites opératoires sont simples. Le diagnostic de maladie de Ledderhose est confirmé histologiquement par l´étude anatomopathologique de la pièce opératoire. L´évolution est favorable sans notion de récidive à un an de recul (Figure 7).

 

 

Discussion Up    Down

La maladie de Ledderhose, ou fibromatose plantaire, affecte principalement les personnes d'âge moyen (entre 30 et 50 ans), bien que quelques cas aient été rapportés chez des enfants de moins de 16 ans [1]. Sa prévalence et son étiologie exactes ne sont toujours pas précisées. Toutefois, elle continue d´apparaître sur la liste des maladies rarissimes affectant la qualité de vie et provoquant une grande incapacité fonctionnelle [3]. Le nodule caractéristique de la maladie de Ledderhose mesure entre 0,5 à 3,0 cm de diamètre, il se situe le plus souvent dans l'aponévrose plantaire médiale ou centrale [1, 4]. Classiquement, il s´agit de nodules indolores de petite taille gênant à peine le chaussage ou la station debout prolongée. L´évolution, aussi lente qu´elle soit, est caractérisée par l´augmentation du diamètre de nouures pouvant devenir très douloureuses et inflammatoires dans les formes sévères [1, 3].

 

Le diagnostic de la maladie de Ledderhose est surtout clinique [4]. La présence d'un ou de plusieurs nodules bien définis le long du fascia plantaire est pathognomonique de cette maladie. Cependant, d´autres diagnostics différentiels doivent être éliminés : le test de compression talonnière permet d´identifier une fracture de stress calcanéenne ; le syndrome du tunnel tarsien est identifié par la présence de douleurs et d'engourdissement irradiant vers le talon plantaire lors de la percussion du nerf tibial postérieur dans le tunnel du tarse ; enfin, la fasciite plantaire est caractérisée par la sensibilité excessive du bord médial de la tubérosité calcanéenne [3, 4]. Les examens complémentaires sont demandés dans les cas de diagnostic incertain ou douteux. En échographie on peut visualiser morphologiquement le « Comb sign » : il s´agit d´un aspect hyperéchogène des zones fibreuses du nodule sur un fond de matrice cellulaire hypoéchogène [5]. À l´IRM, ces nodules apparaissent comme des lésions hétérogènes ovales incluses dans le fascia plantaire [6].

 

Quant à la prise en charge, le traitement conservateur de la maladie de Ledderhose est indiqué pour les formes débutantes de cette pathologie [1, 4]. Il est basé sur les mesures hygiéno-diététiques de confort plantaire comme les semelles orthopédiques. D´autres moyens de traitement symptomatique sont proposés, tels les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les infiltrations intra-nodulaires de corticoïdes, les infiltrations par hyaluronidases et collagénases, la radiothérapie localisée ou encore les ondes de choc extra corporelles. Néanmoins, la chirurgie demeure actuellement le seul traitement pourvoyeur de résultats satisfaisants. Trois techniques ont été utilisées dans la gestion chirurgicale des nodules plantaires : l'excision locale, la fasciectomie partielle et la fasciectomie totale. De nombreuses études ont démontré que l´excision locale du nodule présente un taux de récurrence très élevé pouvant atteindre les 100%. Le retrait entier du fascia plantaire présente le risque de récurrence le plus faible (de 50 à 0%) [1, 4, 7].

 

Comme chez notre patiente, la maladie de Ledderhose (aussi rare qu´elle soit) apparaît souvent de manière concomitante avec d´autres syndromes hyperprolifératifs fibromateux tels que la maladie de Dupuytren, la maladie de la peyronie ou la formation de chéloïdes d´une façon généralisée [4]. L´association entre épilepsie et fibromatose palmoplantaire a été décrite initialement en 1941 par Lund où il avait constaté une incidence de maladie de Dupuytren atteignant 50% chez les 190 hommes et 25% chez les 171 femmes épileptiques de sa série [8]. En 1969, James [9] a soutenu que l'épilepsie et la fibromatose palmoplantaire sont toutes deux génétiquement déterminées et représentent des gènes dominants liés ; ceci a été réfuté par d´autres observations.

 

Enfin, une autre hypothèse qui pourrait expliquer l'association entre administration de phénobarbital et fibromatose palmoplantaire implique la médiation de facteurs de croissance tissulaire. En effet, l´observation de Ghosh et McCandless [10] suggère que l'accélération de croissance est manifeste chez les enfants atteints d'épilepsie du lobe temporal par le fait que le phénobarbital peut affecter la libération de corticotrophine, de gonadotrophine et d'hormone antidiurétique. Ces hypothèses élargissent les perspectives thérapeutiques de la maladie de Ledderhose. À ce propos, un traitement à base d´anti-œstrogènes non stéroïdiens synthétiques tels que le tamoxifène a été suggéré. En effet, des observations in-vitro ont confirmé que l´activité proliférative des fibroblastes exposés au tamoxifène a été réduite par inhibition de l'expression du TGF-β [7].

 

 

Conclusion Up    Down

La maladie de Ledderhose demeure une entité pathologique exceptionnelle dont les mécanismes étiologiques ne sont pas encore parfaitement cernés. L´excision chirurgicale de l´aponévrose plantaire expose toujours au risque non négligeable de récidive. L´association entre fibromatose et médiateurs de croissance cellulaire évoque de nouvelles approches visant la modulation de ces derniers pour un meilleur contrôle thérapeutique.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont contribué à la réalisation de ce travail et ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1 : aspect clinique, vue plantaire : nodules plantaires des deux pieds (plus marqués à droite)

Figure 2 : aspect clinique, vue de profil : nodules des deux pieds sans signes inflammatoires en regard

Figure 3 : aspect clinique, brides digitales des 4e, 5e et 1e rayon (maladie de Dupuytren)

Figure 4 : vue peropératoire, incision en S incurvée avec dissection de l´aponévrose plantaire

Figure 5 : vue peropératoire, aspect de l´aponévrose plantaire excisée

Figure 6 : vue peropératoire, excision des brides palmaires

Figure 7 : image clinique, aspect de la cicatrice plantaire (à 8 semaines de la chirurgie)

 

 

Références Up    Down

  1. Neagu TP, Ţigliş M, Popescu A, Enache V, Popescu ŞA, Lascăr I. Clinical, histological and therapeutic modern approach of Ledderhose disease. Rom J Morphol Embryol. 2018;59(3):691-697. PubMed | Google Scholar

  2. Ledderhose G. Zur Pathologie der aponeurose des fusses und der Hand. Langenbecks Arch Klin Chir. 1897;55:694-e712.

  3. Akdag O, Yildiran G, Karamese M, Tosun Z. Dupuytren-Like contracture of the foot: Ledderhose disease. Surg J (N Y). 2016;2(3):e102-e104. PubMed | Google Scholar

  4. Carroll P, Henshaw RM, Garwood C, Raspovic K, Kumar D. Plantar fibromatosis : pathophysiology, surgical and nonsurgical therapies: an evidence-based review. Foot Ankle Spec. 2018;11(2):168-176. PubMed | Google Scholar

  5. Cohen BE, Murthy NS, McKenzie GA. Ultrasonography of plantar fibromatosis : updated case series, review of the literature, and a novel descriptive appearance termed the "Comb Sign". J Ultrasound Med. 2018;37(11):2725-2731. PubMed | Google Scholar

  6. Teo F, Mohamed Shah MT, Wong BSS. Clinics in diagnostic imaging (195). Plantar fibromatosis. Singapore Med J. 2019;60(5):230-235. PubMed | Google Scholar

  7. Young JR, Sternbach S, Willinger M, Hutchinson ID, Rosenbaum AJ. The etiology, evaluation, and management of plantar fibromatosis. Orthop Res Rev. 2018;11:1-7. PubMed | Google Scholar

  8. Lund M. Dupuytren's contracture and epilepsy. Acta Psychiatrica et Neurologica. 1941;16:465-492. Google Scholar

  9. James JIP. The relationship of Dupuytren's contracture and epilepsy. Hand. 1969;1:47-9. Google Scholar

  10. Ghosh A, McCandless AE. Letter: growth and anticonvulsant therapy. Lancet. 1975 Apr 12;1(7911):858-859. PubMed