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Syndrome de trousseau : à propos de 17 cas

Syndrome de trousseau : à propos de 17 cas

Trousseau´s syndrome: about 17 cases

Rajae Azzeddine1,&, Leila Achachi1, Aziza Rhanim1, Asmae Jniyen1, Mustapha Elftouh1, Laila Herrak1

 

1Service de Pneumologie, Hôpital Ibn Sina, Faculté de Médecine, Université Mohammed V, Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Rajae Azzeddine, Service de Pneumologie, Hôpital Ibn Sina, Faculté de Médecine, Université Mohammed V, Rabat, Maroc

 

 

Résumé

Le lien entre cancer et thrombose était surtout connu lors de cancers évolués notamment à un stade métastatique, aujourd´hui il est admis que l´épisode thrombotique peut être révélateur d´un cancer occulte, définissant le syndrome de Trousseau. Nous rapportons 17 cas de ce syndrome chez des patients hospitalisés pour une embolie pulmonaire avec découverte d´un cancer occulte. Nous insistons à travers notre travail sur la nécessité de réaliser un bilan étiologique exhaustif devant toute embolie pulmonaire à la recherche d´une néoplasie sous jacente.


The relation between cancer and thrombosis has been mainly reported in cancers at an advanced stage, including metastatic cancers. However, it is now accepted that thrombosis may be indicative of occult cancer (Trousseau´s syndrome). We here report 17 case of patients with Trousseau´s syndrome hospitalized for pulmonary embolism and diagnosed with occult cancer. This study highlights the need for comprehensive etiological assessment in all patients with pulmonary embolism in order to detect an underlying neoplasia.

Key words: Pulmonary embolism, venous thrombosis, occult cancer

 

 

Introduction    Down

L´Embolie pulmonaire (EP) qui est souvent de nature fibrinocruorique, est une maladie fréquente et grave. Elle constitue une urgence médicale pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Le lien entre cancer et thrombose était surtout connu lors de cancers évolués notamment à un stade métastatique, mais il est aujourd´hui admis que l´épisode thrombotique peut être révélatrice d´un cancer occulte, définissant le syndrome de Trousseau et posant le problème de la recherche du cancer occulte. Le but de notre travail est d´étudier la prévalence et les caractéristiques des cancers occulte chez des patients admis pour une embolie pulmonaire.

 

 

Méthodes Up    Down

Nous rapportons une étude rétrospective réalisée au Service de Pneumologie de l'Hôpital Ibn Sina de Rabat, sur une période de 44 mois allant du janvier 2016 à août 2019, concernant tous les cas hospitalisés pour une embolie pulmonaire avec découverte d'un cancer occulte.

 

 

Résultats Up    Down

Durant cette période 126 patients sont pris en charge pour embolie pulmonaire dans notre service, un cancer occulte a été découvert chez 17 patients (13,5%), l'âge moyen de nos patients était de 58.4 ans avec des extrêmes allant de 36 à 80 ans , une prédominance masculine est noté dans 64,7%, le tabagisme est retrouvé dans 70%, les signes cliniques étaient dominés par la dyspnée (92%), les douleurs thoraciques (69%), les hémoptysies (30%), une pleurésie a été retrouvé dans 23% des cas. Le diagnostic de l'embolie pulmonaire était confirmé par l'angioscanner thoracique (100%), objectivant une obstruction droite dans 35%, gauche 23,5% et bilatérale dans 41% des cas, l'embolie était massive avec signes de gravité dans 17% des cas. Tous nos patients ont bénéficié d'un bilan étiologique de l'embolie pulmonaire, objectivant la prédominance d'un cancer pulmonaire dans 53% des cas, dont 55% d´adénocarcinome, 22% carcinome epidermoide, 11% sarcome histiocytaire et 11% de tumeur carcinoïde, une carcinose péritonéale (17,6%), un cancer gynécologique (17,6%) dont 66% d´adénocarcinome ovarien et 33% cancer de l´endomètre, une hémopathie (5,8%), tumeur cérébrale glioblastome (5,8%). Tous nos patients ont bénéficié d'un traitement anticoagulant à dose curative, 3 patients ont bénéficié d'une thrombolyse en urgence, l'évolution a été marquée par la survenue de 7 décès (41%).

 

 

Discussion Up    Down

L´association entre maladie thrombo-embolique veineuse et cancer est connue depuis longtemps. En effet, Armand Trousseau a, le premier, décrit la coexistence de la thrombose veineuse profonde et superficielle avec le cancer. Cette association, décrite en 1865 [1], montre qu´il existe non seulement un sur-risque de survenue de thrombose en cas de cancer mais également qu´une thrombose survenue de façon inopinée doit faire redouter l´apparition ultérieure d´un cancer. En effet, si la maladie thromboembolique veineuse a une épidémiologie qui montre une prévalence de 0,5 à 1 pour 1000 habitants, en cas de cancer, le risque est multiplié par 4, soit 1 cas pour 250 patients, alors que l'incidence de cancer après maladie veineuse thrombo-embolique, est de l'ordre de 5% [2]. Les cancers les plus fréquemment en cause touchent les organes solides : tractus digestif, pancréas, poumon [1], ce qui concorde avec notre étude qui a objectivé la prédominance du cancer du poumon suivi de prés par les cancers digestifs. Les mécanismes de l´hypercoagulabilité dans un contexte néoplasique ne sont pas totalement élucidés, il est probable que la conversion du facteur VII (FVII) en sa forme active (FVIIa) en complexe avec le facteur tissulaire déclenche la production d'autres protéases liées à la coagulation, en particulier le FXa et le FIXa. Le facteur Xa travaille ensuite avec les FVA pour cliver la prothrombine en circulation et générer de la thrombine, nécessaire non seulement pour générer la fibrine et activer les plaquettes, mais également pour faciliter l´amplification grâce à la génération ultérieure d´autres facteurs de coagulation actifs tels que FVIIIa et FXIa (Figure 1). Bien que tous ces mécanismes impliquant le FT et la thrombine semblent raisonnables, d'autres études sont nécessaires pour montrer directement leur rôle chez les patients atteints du syndrome de Trousseau [3].

La fréquence de mise en évidence d´un cancer lors du bilan étiologique d´une TVP est plus grande lors des thromboses idiopathiques (risque relatif : 4,8) [4] qu´à l´occasion de thromboses secondaires (post-chirurgie, immobilisation etc.). Dans une analyse prospective [5], des patients apparemment sans cancer atteints de thromboembolie veineuse idiopathique aiguë ont été randomisés pour subir un dépistage approfondi du cancer occulte. Dans le premier groupe, environ 13% des patients avaient un cancer occulte. Un nombre similaire de cancers est apparu dans le groupe témoin au cours d'une période de 2 ans. Comme prévu, les tumeurs malignes découvertes dans le groupe de dépistage extensif en étaient à un stade précoce. Cependant, la mortalité liée au cancer au cours de la période de suivi de deux ans n'était pas très différente. Une méta-analyse [6] s´est intéressée à la prévalence des néoplasies occultes au moment du diagnostic de TVP en fonction du mécanisme idiopathique ou secondaire. Trente six (36) études étaient présentées, totalisant 9516 patients suivis 12 mois. À douze mois, la prévalence d´un cancer occulte toutes populations confondues était de 6,3%. Elle était plus haute dans le groupe MTE (maladie thromboembolique) idiopathique 10% , comparé au groupe MTE secondaire 2,6%. Cette prévalence était significativement accrue par une recherche systématique de cancer profond par scanner abdominopelvien, comparée à un simple bilan clinique et biologique de routine. Ces résultats reposent donc la question de l´utilité d´une telle stratégie, sans pouvoir lui apporter de réponse en l´absence de donnée sur l´impact de la détection en termes d´effets secondaires, de faux positifs, de survie et de coût de réalisation .Ces données de la littérature rejoignent approximativement les résultats de notre étude qui ont objectivé une prévalence de 13% ainsi que tous nos patients ont bénéficié d´un bilan étiologique y compris le scanner thoraco-abdominopelvien [1].

Quelque soit les mécanismes sous-jacents, la première approche du traitement du syndrome de Trousseau consiste à éliminer, si possible, la tumeur responsable. Bien que cela ne soit souvent pas faisable, le thème récurrent dans la littérature est que l´héparine est le traitement de choix et que le facteur de blocage Xa ou la thrombine est spécifiquement insuffisant [7-9]. En effet, de nombreux cas d'accélération marquée et même catastrophique de la thrombose lors de l'arrêt de l'héparine dans le syndrome de Trousseau [7,8]. Compte tenu de l´inactivité relative des antagonistes de la vitamine K ou des inhibiteurs directs de la thrombine dans certains cas, il est raisonnable de penser que cette activité de l´héparine dépend de sa capacité à inactiver la thrombine en renforçant l´antithrombine, héparine doit être poursuivie indéfiniment chez les patients atteints d'un cancer actif et du syndrome de Trousseau, car l'arrêt du traitement, même pour un jour, peut entraîner la récurrence des thromboses [3].

 

 

Conclusion Up    Down

Le syndrome de Trousseau est probablement médiatisé par de multiples mécanismes et chaque patient peut avoir différentes combinaisons de mécanismes se chevauchant et en interaction en tant que cause de son état prothrombotique. Compte tenu de la fréquence des cancers révélés dans notre étude, la recherche d´un cancer en cas d´embolie pulmonaire idiopathique apparaît contributive, nous insistons à travers notre travail sur la nécessité de réaliser un bilan étiologique exhaustif devant toute embolie pulmonaire à la recherche d´une néoplasie sous jacente.

Etat des connaissances actuelles sur le sujet

  • L´épisode thrombotique peut être révélatrice d´un cancer occulte, définissant le syndrome de Trousseau;
  • Les cancers les plus fréquemment en cause touchent les organes solides: tractus digestif, pancréas, poumon;
  • L´héparine est le traitement de choix.

Contribution de notre étude à la connaissance

  • Le syndrome de trousseau n´est pas rare;
  • La recherche d´un cancer en cas d´embolie pulmonaire idiopathique est obligatoire;
  • Un bilan étiologique exhaustif est nécessaire y compris une TDM thoraco-abdomino-pelvienne.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont contribué à ce travail et ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figure Up    Down

Figure 1: multiples mécanismes de syndrome de trousseau

 

 

Références Up    Down

  1. Dres M, Ferré A, Marie Allain Y, Giraud F, Horellou MH, Gaudric J et al. Arterial and Venous Thrombosis in Lung Cancer. Rev Mal Respir. 2009 Sep;26(7):783-7. PubMed | Google Scholar

  2. Debourdeau P, Farge-Bancel D. Occult cancer in patients with acute pulmonary embolism. Rev Prat. 2007 Apr 15;57(7):737-42. PubMed

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  4. Lee AY, Levine MN. Venous thromboembolism and cancer: risks and outcomes. Circulation. 2003;107( suppl 1):17-21. PubMed | Google Scholar

  5. Piccioli A, Lensing AW, Prins MH, Falanga A, Scannapieco GL, Ieran M et al. Extensive screening for occult malignant disease in idiopathic venous thromboembolism: a prospective randomized clinical trial. J Thromb Haemost. 2004 Jun;2(6):884-9. PubMed | Google Scholar

  6. Carrier M, Le Gal G, Wells PS, Fergusson D, Ramsay T, Rodger MA. The trousseau syndrom revisited: should we screen extensively for cancer in patients with venous thromboembolism. Ann Intern Med. 2008 Sep 2;149(5):323-33. PubMed| Google Scholar

  7. Sac GH, LevinJ, ClocheWR. Syndrome de Trousseau et autres manifestations de la coagulopathie disséminée chronique chez les patients atteints de néoplasmes: caractéristiques cliniques, physiopathologiques et thérapeutiques. Médecine (Baltimore). 1977;56:1-370.

  8. Bell WR, Starksen NF, Tong S, Porterfield JK. Trousseau's syndrome. Devastating coagulopathy in the absence of heparin. Am J Med. 1985 Oct;79(4):423-430.

  9. Levine M. Gestion de la maladie thromboembolique chez les patients cancéreux: efficacité et sécurité des options de traitement antithrombotique chez les patients cancéreux. Cancer Treat Rev. 2002;28:145.