Home | Volume 4 | Article number 56

Case series

Les causes de décès sur le lieu de travail: cas colligés dans un Service de Médecine légale d´Alger-Est

Les causes de décès sur le lieu de travail: cas colligés dans un service de médecine légale d´Alger-Est

The causes of fatalities at workplace: cases collected in a department of forensic medicine of Algiers-East

Seid Fraga1,2,&, Nacima Zanoun2,3, Attika Sebaihi2,4, Mustapha Haddar1,2

 

1Service de Médecine du Travail-Établissement Public Hospitalier (EPH) de Rouïba, Alger, Algérie, 2Faculté de Médecine, Université d´Alger, Algérie, 3Service d´Epidémiologie et de Médecine Préventive, Centre Hospitalo- Universitaire de Bab-El-Oued, Alger, Algérie, 4Service de Médecine Légale, EPH Rouïba, Alger, Algérie

 

 

&Auteur correspondant
Seid Fraga, Service de Médecine du Travail-Etablissement Public Hospitalier (EPH) de Rouïba, Alger, Algérie

 

 

Résumé

Chaque année, environ 600 travailleurs meurent sur les lieux de travail en Algérie. Dans la plupart des cas, le décès n´est considéré comme accident de travail que s´il existait une lésion corporelle, imputable à une cause soudaine et extérieure. L´objectif de cette enquête était d´identifier les causes de décès sur le lieu de travail et de décrire leurs circonstances de survenue et les professions les plus à risque. L´étude a concerné les sujets décédés sur les lieux de travail ayant subi une autopsie dans le Service de Médecine Légale de l´Établissement Public Hospitalier (EPH) de Rouïba durant les trois dernières années. Les données ont été recueillies à partir des dossiers et des rapports d´autopsies. Au cours des trois dernières années, le service de médecine légale de l´EPH de Rouïba a enregistré 470 autopsies dont 41 décès sur le lieu de travail (8,70%); tous de sexe masculin. La moyenne d´âge des victimes était de 39,8 ans avec des extrémités de 18 et 64 ans. Les polytraumatismes ont représentés la première cause de décès avec 36,6%, suivi des cardiomyopathies ischémiques (31,70%), puis l´électrocution (9,7%) et l´intoxication au. Monoxyde de carbone et l´ingestion de pesticides avec 4,9% des cas. La preuve du lien direct entre le décès et le travail peut être difficile à rapporter en pratique chez les sujets porteurs de pathologies chroniques pourvoyeuses de complications mortelles. Mais, dans certaines situations, la victime pourra bénéficier d'une présomption d'imputabilité. Ainsi, lorsque le décès est survenu sur le lieu et pendant le temps de travail, il est présumé comme étant un accident du travail. Il appartient dès lors à l'employeur ou à la sécurité sociale de démontrer le contraire.


Nearly 600 workers die each year at workplaces in Algeria. In most cases, death is only considered a work accident if there is a bodily injury, attributable to a sudden and external cause. The objective of this study was to identify the causes of work-related mortalities, describe their circumstances and the most hazardous professions. This study focused on subjects who died at workplace and underwent an autopsy at the department of forensic medicine of the public hospital (EPH) of Rouïba during the last three years. Data was collected from the hospital registry and autopsy records. Over the past three years, the service of forensic medicine service of the Rouïba (EPH) has recorded 470 autopsies, including 41 deaths at workplace (8.70%); all were males. The mean age of the victims was 39.8 year rangedfrom 18 to 64 years. Polytrauma represents the first cause of death with 36.6%, followed by ischemic cardiomyopathies (31.70%), then electrocution (9.7%) and intoxication with carbon monoxide and the ingestion of pesticides with 4.9% of the total cases. In practice, it is difficult to provide the evidence of the association between fatality and work in subjects with chronic pathologies with lethal complications. However, under some conditions, the victims may benefit from a presumption of imputability. Thus, when the fatality occurred on the site and during the working time, it is presumed to be a work accident. It is therefore up to the employer or the social security system to demonstrate the contrary.

Key words: Causes of fatality, workplace, workplace accident

 

 

Introduction    Down

Selon l´organisation internationale du travail (OIT), chaque année, environ 300 millions accidents de travail (AT) surviennent à travers le monde dont 2,3 millions sont mortels [1]. En France, selon les statistiques de l´assurance maladie (année 2017), sur les 632918 AT enregistrés, 530 étaient mortels [2]. Alors qu´en Algérie, pour la même année, 48382 AT ont été à l´origine de 552 décès [3]. Le terme "accident" suggère un évènement imprévisible, qui ne peut pas être prévenu [4,5]. Le terme traumatisme de plus en plus utilisé, est défini par l´Organisation mondiale de la santé comme "le dommage physique causé à une personne lorsque son corps a été soumis, de façon soudaine ou brève, à un niveau d´énergie intolérable. Il peut s´agir d´une lésion corporelle provenant d´une exposition à une quantité d´énergie excédant le seuil de tolérance physiologique, ou d´une déficience fonctionnelle conséquence d´une privation d´un ou de plusieurs éléments vitaux (par exemple air, eau, chaleur), comme dans la noyade, la strangulation ou le gel. Le temps passé entre l´exposition à l´énergie et l´apparition du traumatisme est court" [5,6]. Cette définition est mieux adaptée puisqu´elle élargit le champ de l´accident à un plus grand nombre de causes de décès de survenue brutale sur les lieux de travail.

 

En Algérie, le code de la sécurité sociale [7] retient la définition suivante pour reconnaître l´imputabilité au travail d´un accident: “Est considéré comme accident de travail, tout accident ayant entrainé une lésion corporelle, imputable à une cause soudaine, extérieure et survenue dans le cadre de la relation de travail” (article 6. Loi 83-13 du 02 Juillet 1983 relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles). Cette définition pose des conditions essentielles à l´application de la législation AT: la matérialité du fait accidentel qui doit être caractérisée par l´extériorité, la violence et la soudaineté. L´accident doit aussi être localisable dans l´espace et le temps en relation avec le travail, c'est-à-dire, la victime est sous la subordination de son employeur. Selon les statistiques de la caisse nationale des assurances sociales (CNAS), environ 600 salariés meurent sur les lieux de travail. En dehors des traumatismes mortels considérés comme AT, il n´existe pas en Algérie des statistiques globales des décès d´origine professionnelle, permettant de décrire leurs circonstances de survenue et les secteurs d´activité ou les professions les plus à risque. Il existe très peu d´études sur les liens entre décès et travail. Pour cela, nous avons réalisé cette enquête dont l´objectif était d´identifier les causes de décès sur le lieu de travail et de décrire leurs circonstances de survenue et les professions les plus à risque.

 

 

Méthodes Up    Down

L´étude a concerné les sujets décédés sur les lieux de travail ayant subi une autopsie dans le Service de Médecine Légale de l´Établissement Public Hospitalier (EPH) de Rouïba durant les trois dernières années. Les données ont été recueillies à partir des dossiers et des rapports d´autopsies.

 

 

Résultats Up    Down

Au cours des trois dernières années, le service de médecine légale de l´EPH de Rouïba a enregistré 470 autopsies dont 41 décès sur le lieu de travail (8,7%); tous de sexe masculin. La moyenne d´âge des victimes était de 39,8 ans avec des extrémités de 18 et 64 ans. La tranche d´âge la plus dominante était celle de 40 - 49 ans. Selon la catégorie professionnelle, les victimes étaient des ouvriers (19,5%), des commerçants (9,7%), des agriculteurs et des maçons dans 4,8% des cas. Les soudeurs et les agents de sécurité ont représenté 2,4% des cas. Les causes de décès les plus incriminées étaient les traumatismes (36,6%), suivi des cardiopathies (31,7 %), puis les électrocutions (9,7%) et les intoxications aux pesticides et monoxyde de carbone dans 4,8% des cas. La répartition des victimes selon les causes de décès est représentée dans la Figure 1.

 

 

Discussion Up    Down

Au terme de l´enquête, 41 décès sur le lieu de travail ont été enregistrés, soit une fréquence de 8,70 % de l´ensemble des autopsies effectuées par le Service de Médecine Légale de l´EPH Rouïba durant les 3 dernières années. Les accidents mortels ont touché une population relativement jeune avec une moyenne d´âge de 39,8 ans, tous de sexe masculin. Ce résultat est similaire à celui rapporté par deux études réalisées en Tunisie et au Maroc [8,9]. Près de 20% des victimes étaient des ouvriers non qualifiés, avec peu d´expérience (ancienneté moyenne dans le poste < 5 ans). Ce qui concorde avec les données du bureau international du travail (BIT), qui considère que les accidents du travail mortels sont l´apanage des ouvriers du secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) [10]. Par ailleurs, l´étude tunisienne [8] de 2006, a retrouvé aussi que les victimes d´accidents de travail mortels étaient des ouvriers non qualifiés, sans expérience (ancienneté au poste < 1 an) et exerçant dans les secteurs d´agriculture, de la pêche et du BTP. Concernant les causes de décès, notre étude a révélé, que la première cause était des traumatismes suite à une chute de la hauteur ou réception d´un objet sur le crâne. Ces constatations ont été aussi retrouvées dans les deux études marocaine et tunisienne [8,9]. En effet, le mécanisme de l´accident le plus fréquent était la chute de la hauteur avec comme conséquences des polytraumatismes dans plus de la moitié des cas.

 

Les cardiomyopathies ischémiques étaient aussi une cause importante de décès (31,7%) dans notre enquête. Cependant, il n´est pas facile de faire le lien direct avec le travail. Lorsque la matérialité de l´accident fait défaut, le critère de soudaineté est appliqué aux lésions et le caractère professionnel peut être précisé par jurisprudence. En France, le nombre de morts subites représente environ 10% des 500 000 décès annuels. Le lieu de survenue le plus fréquent est le domicile, les lieux publics et le lieu du travail [11]. Lorsque le décès est reconnu imputable au travail, les ayants droit pourront bénéficier des prestations servies par le Comité national d´action sociale (CNAS) (capital décès, rente). Mais, la connaissance de la cause exacte de la mort peut permettre aussi à l´employeur et à la caisse d´assurance de détruire cette présomption d´imputabilité en démontrant que les conditions de travail n´ont pas joué de rôle dans la survenue du décès; d´où l´intérêt de l´autopsie médico-légale précoce. Les autres causes de décès enregistrés dans notre étude ne sont pas été négligeables. En effet, l´électrocution a représenté 9,7% des décès et les intoxications au Monoxyde de carbone et aux pesticides 4,9% des cas. Quelle que soit la cause du décès et compte tenu des enjeux médico-sociaux de la déclaration en AT, il est fait obligation à tout médecin ayant constaté le décès d´établir aussi un certificat médical d´AT (Figure 2). Ce certificat doit accompagner la déclaration de l´employeur à la sécurité sociale.

 

 

Conclusion Up    Down

La preuve du lien direct entre le décès et le travail peut être difficile à rapporter en pratique chez les sujets porteurs de pathologies chroniques pourvoyeuses de complications mortelles. Mais, dans certaines situations, la victime pourra bénéficier d'une présomption d'imputabilité. Ainsi, lorsque le décès est survenu sur le lieu et pendant le temps de travail, il est présumé comme étant un accident du travail. Il appartient dès lors à l'employeur ou à la sécurité sociale de démontrer le contraire. Afin de prévenir ces accidents, un environnement de travail sûr et sain doit être le facteur capital dans la qualité de vie des travailleurs et constituer également une préoccupation collective.

Etat des connaissances sur le sujet

  • Les accidents de travail sont fréquents;
  • La preuve du lien direct entre le décès et le travail peut être difficile à établir.

Contribution de notre étude à la connaissance

  • Connaitre les causes de décès sur les lieux de travail et décrire les circonstances de survenue et les secteurs d´activité ou les professions les plus à risque;
  • Renforcer l'information des professionnels de santé pour une meilleure reconnaissance en accident de travail et renforcer la prévention des accidents de travail.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Seid Fraga, Ncima Zanoun ont rédigé le corps de l'article. Attika Sebaihi, Mustapha Haddar ont participé à la coordination de la réalisation de l'article et ont corrigé l'article.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1: répartition des victimes selon les causes de décès

Figure 2: certificat médical d´accident de travail (AT)

 

 

Références Up    Down

  1. Organisation internationale du travail. La sécurité en chiffres: indications pour une culture mondiale de la sécurité au travail. 1er éd Genève. 2003. Google Scholar

  2. Caisse nationale de l´assurance maladie des travailleurs salariés. Risque accident du travail: Statistiques sur la sinistralité de l´année 2017 suivant la nomenclature d´activités françaises (NAF). Paris: rapport. 2019.

  3. Caisse nationale des assurances sociales. Statistiques accidents du travail et maladies professionnelles. Alger: rapport. 2018.

  4. Pless IB, Hagel BE. Injury prevention: a glossary of terms. J Epidemiol Community Health. 2005 Mar;59(3):182-5. PubMed | Google Scholar

  5. Brière J, Chevalier A, Charbotel B, Imbernon E. Des indicateurs en santé travail; les accidents mortels d´origine professionnelle en France. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire. 2011.

  6. Holder Y, Peden M, Krug E, Lund J, Gurura G, Kobusingye O, editors. Injury surveillance guidelines. Geneva: World Health Organization and Atlanta: Centers for Disease Control and Prevention. 2001. Google Scholar

  7. République Algérienne. Loi n° 83-13 du 2 juillet 1983, relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Journal Officiel du 5 juillet. 1983.

  8. Marouen-Jamoussi S, Loukil-Feki M, Masmoudi A, Kammoun L, Zouari C, Jmal-Hammami K et al. Les accidents du travail mortels dans le secteur privé en Tunisie. Archives des Maladies Professionnelles et de l'Environnement. 2006;67(6):899-903. Google Scholar

  9. ElAmri I, Allouche W, Benali B, ElKholti A. Les accidents du travail graves et mortels admis au service d´accueil des urgences au CHU Ibn Rochd de Casablanca. Archives des maladies professionnelles et de l´environnement. 2016;77(3):535-6. Google Scholar

  10. Bureau International du Travail. Changement dans le monde du travail. Conférence internationale du travail. 1er éd Bureau International du Travail, Genève. 2006;84.

  11. Cardona J, Gracbling R, Fasquel D, Mabriez JC, Malicier D. Intérêt des autopsies précoces dans les morts subites au travail. Revue Médicale de l´Assurance Maladie. 2000;(1):59-66. Google Scholar