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Prévalence et facteurs de risques des troubles musculo-squelettiques chez les chirurgiens de l´Hôpital Régional de Saint-Louis du Sénégal

Prévalence et facteurs de risques des troubles musculo-squelettiques chez les chirurgiens de l´Hôpital Régional de Saint-Louis du Sénégal

Prevalence and risk factors of musculoskeletal disorders among surgeons at the Saint-Louis Regional Hospital in Senegal

Mohamed Lamine Diao1,2,&, Armandine Eusebia Roseline Diatta1,, Abdourahmane Ndong2,, Pape Ousmane Ba2,, Ibrahima Konate2, Mame Coumba Gaye1, Mor Ndiaye1

 

1Service de Médecine du Travail, Faculté de Médecine, de Pharmacie et d'Odontostomatologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dakar, Sénégal, 2Service de Chirurgie Générale, Centre Hospitalier Régional de Saint-Louis, Département de Chirurgie et Spécialités Chirurgicales, UFR 2S, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Saint-Louis, Sénégal

 

 

&Auteur correspondant
Mohamed Lamine Diao, Service de Médecine du Travail, Faculté de Médecine, de Pharmacie et d'Odontostomatologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dakar, Sénégal

 

 

Résumé

Evaluer la prévalence et les facteurs de risque des troubles musculo-squelettiques liés à l´activité du chirurgien au bloc opératoire. Enquête qui s´est déroulée au mois de juin et juillet 2018, ayant concerné 13 chirurgiens du Centre Hospitalier Régional de Saint-Louis (Sénégal), ayant au minimum 3 ans d´expérience professionnelle. Les chirurgiens étaient soumis au questionnaire (TMS) de l´INRS version 2000. Les chapitres 1, 2 et 4 du questionnaire ont été exploités et le score proposé par le questionnaire a été utilisé comme outil d´évaluation des facteurs de risque. L´étude intéressait 13 chirurgiens du Centre Hospitalier Régional de Saint-Louis. Ils étaient de sexe masculin, avec un âge moyen de 38,2 ans. L´étude de la répartition corporelle montrait une nette prédominance des atteintes du rachis, notamment celles du coup (n=10, soit 77%), suivies du bas et du haut du dos (respectivement 8 et 6, soit, 61,5% et 46%). Les atteintes les plus sévères selon le questionnaire étaient localisées au niveau du bas du dos avec un score de 76,5/100. Par ailleurs 2 items pouvaient être retenus comme facteurs de risque psycho-sociaux, notamment « la charge de travail » (59,6/100) et « l´attention requise » (78,3/100), alors que les items « contrôle du travail » et « soutien des collègues » semblaient être des facteurs protecteurs, respectivement 82,3/100 et 63,8/100. Les TMS liés aux interventions chirurgicales sont souvent méconnus et peu affirmés. Ils sont liés aux situations de travail au bloc opératoire et aux facteurs psychosociaux. Cette étude préliminaire constitue l´une des premières étapes de mise en place d´une stratégie de prévention des TMS liée aux interventions chirurgicales.


The study’s objectives was to assess the prevalence and risk factors of musculoskeletal disorders (MSD) related to the surgeon’s activity in the operating room. Investigation that took place in June and July 2018, involving 13 surgeons at the Saint-Louis Regional Hospital (Senegal), with at least 3 years professional experience. Surgeons were submitted to the “INRS 2000 MSD” questionnaire. Chapters 1, 2 and 4 of the questionnaire were exploited and the proposed questionnaire score was used as a risk factor assessment tool. The study was of interest to 13 surgeons at the Saint-Louis Regional Hospital. They were male, with an average age of 38.2 years. The study of the body distribution showed a clear predominance of the effects of the spine, especially those of the blow (n=10, or 77%), followed by the lower and upper back (respectively 8 and 6, or 61.5% and 46%). The most severe injuries according to the questionnaire were located at the lower back with a score of 76.5/100. In addition, 2 items could be considered as psycho-social risk factors, including "workload" (59.6/100) and "attention required" (78.3/100), while the "work control" and "colleague support" items appeared to be protective factors, 82.3/100 and 63.8/100 respectively. MSD related to surgical procedures are often unknown and unclear. They are related to operating theatre work situations and psychosocial factors. This preliminary study is one of the first steps in implementing a MSD prevention strategy related to surgery.

Key words: Musculoskeletal disorders, surgery, psychosocial factors

 

 

Introduction    Down

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) constituent un ensemble de pathologies mal élucidées ; l´Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) en 2016 les définissait comme étant: « une quinzaine de maladies qui affectent les muscles, les tendons et les nerfs des membres et de la colonne vertébrale. Ce sont des pathologies multifactorielles à composante professionnelle ». Ils constituent un véritable problème de santé publique dans les pays développés où ces TMS sont bien évalués, étant responsable d´un absentéisme fréquent et d´une perte financière importante pour les entreprises. Dans les pays en développement, peu d´études d´impact ont été réalisés. Les TMS revêtent des aspects particuliers en milieu hospitalier, notamment chez les chirurgiens. L´objectif de cette étude était d´évaluer de manière subjective la prévalence des TMS chez les chirurgiens ainsi que certains facteurs de risques associés.

 

 

Méthodes Up    Down

L´étude était menée au Centre Hospitalier Régional de Saint-Louis du Sénégal qui est une structure hospitalière de Niveau 2, constituant un centre de référence de la zone Nord du Sénégal, ainsi que pour la Sous-Région (Mauritanie, Mali). Elle dispose de plusieurs spécialités notamment les spécialités chirurgicales essentielles (chirurgie générale, gynécologie, orthopédie-traumatologie, ORL, ophtalmologie, urologie, etc.) avec en moyenne 1 à 2 médecins par spécialité. L´étude intéressait les chirurgiens qui avaient au moins 3 ans d´expérience professionnelle, et se déroulait aux mois de juin et juillet 2018. Les chirurgiens étaient soumis au questionnaire de l´INRS version 2000. Il s´agit d´un questionnaire élaboré par l´INRS, constituant un outil de recueil et d´analyse des facteurs de risques des TMS [1]. Le fichier se compose de 127 questions répartis en 5 chapitres (généralités, TMS proprement dits, stress, facteurs psycho-sociaux, vécu de travail) et propose un format de réponses à cocher. Les chapitres 1, 2 et 4 étaient exploités. Les questions se regroupent en items dans chaque chapitre et sont pondérées sur une échelle de 100, et le calcul des moyennes permettait de déterminer la gravité des atteintes pour le chapitre 2 (TMS), ainsi que les facteurs de risques supposés pour le chapitre 4, surtout si la moyenne des scores était supérieure à 50/100. Les questions étaient regroupées en plusieurs items dont les suivants ont été explorés: la charge de travail, l´attention requise, le contrôle sur le travail et le soutien des collègues. Par ailleurs, une observation de situation de travail était effectuée avec la prise d´images et de vidéos pour une analyse des facteurs de risques biomécaniques.

 

 

Résultats Up    Down

La série exclusivement masculine, était composée de 13 chirurgiens. L´âge moyen était de 38,2 ans. La durée moyenne de l´expérience professionnelle était de 8,3 ans. Tous les chirurgiens ont déclaré au moins une atteinte sur le questionnaire. Concernant les lésions, l´étude de la répartition corporelle (Figure 1) notait une prédominance des atteintes du rachis avec le cou qui était le plus concerné (n=10 soit 77%) suivi par les lombalgies (n=8 ; 61,5%) et les atteintes du « haut du dos » (n=6 soit 46%). D´autres atteintes étaient notées comme celle de l´épaule droite (n=5 ; 38,4%) et de l´épaule gauche (n=4 ; 30,7%), ainsi que des coudes et des poignets. Concernant la gravité des lésions et selon la scorification du questionnaire, les atteintes les plus sévères concernaient le bas du dos avec un score moyen de 76,56/100. Par ailleurs, des atteintes modérées étaient retrouvées au niveau du membre supérieur droit et du cou avec respectivement des scores moyens de 41,23/100 et 47,88/100. En outre, des TMS de gravité légère étaient recueillis au niveau thoracique dorsal (« haut du dos ») et du membre supérieur gauche, avec respectivement 32/100 et 22,65/100 (Figure 2). Certains items du chapitre 4 « facteurs psychosociaux » ont été exploités. Le calcul de leur score est résumé dans le Tableau 1, montrant entre autres une charge de travail au-dessus de la moyenne (69,6/100) ainsi qu´une attention requise importante dont le score moyen était de 78,3/100. L´observation des situations de travail (Figure 3) révélait la présence d´attitudes vicieuses avec une hyperflexion du cou pour « mieux voir », et une inadaptation de la table opératoire à la taille du chirurgien entrainant des contraintes posturales.

 

 

Discussion Up    Down

Les TMS, encore appelés pathologies d´hyper-sollicitation, constituent un véritable problème de santé dans les pays développés où ils occupent la première place des pathologies professionnelles. Ils engendrent un impact économique important, évalué en 1998 à 16,4 milliards de dollars au Canada [2]. Le personnel soignant constitue l´une des catégories les plus exposées aux risques des TMS, avec une forte prévalence dans le secteur hospitalier pouvant atteindre 70% des séries [2-4]. Dans nos pays, il s´agit le plus souvent d´atteintes non avouées, ou alors de liens non établis avec le travail. L´ancienneté de la profession était de 8,3 ans en moyenne dans notre étude. Il s´agit d´un élément bien étudié, constituant un facteur de risque avéré, et dont les valeurs limites dépendent des séries [3-5]. Les atteintes du rachis constituaient la majorité des TMS dans notre étude. Dans le milieu hospitalier, plusieurs études retrouvaient cette prédominance des TMS du rachis, notamment dans la série de Maumet [3]. Les lésions jugées les plus graves selon le score du questionnaire Institut national de recherche et de sécurité (INRS) concernaient le bas du dos (lombalgies), comme pour la série de Fugii [6]. Les lombalgies ont une prévalence qui varie entre 32 et 74% dans le secteur hospitalier [7,8]. Ces atteintes sont dues à des facteurs biomécaniques reconnus, notamment les contraintes physiques [9]. Les cervicalgies constituaient les atteintes les plus fréquentes dans notre étude, comme dans plusieurs séries [10,11].

 

Elles pouvaient être expliquées par les différentes attitudes vicieuses avec hyperflexion répétée du cou, révélées par l´observation des situations de travail. Le chirurgien ayant, par exemple mal adapté la table opératoire à sa taille, est obligé de faire cette hyperflexion cervicale ou dorsolombaire pour mieux voir son champ opératoire. Le maintien de la posture pendant une longue durée, la position statique et les mouvements répétitifs constituent des contraintes reconnus comme facteurs de risque des TMS [9]. Il est aujourd´hui établi que les facteurs psychosociaux ont une grande influence sur la survenue des TMS [12]. Ces contraintes psychosociales et organisationnelles sont recherchées par le questionnaire de l´INRS 2000 avec la demande psychologique (charge de travail, attention requise), la latitude décisionnelle (contrôle sur le travail) et le soutien des collègues. Il est apparu pour notre étude que la demande psychologique constituait par le calcul des scores un facteur de risque des TMS, même si la latitude décisionnelle chez les chirurgiens constitue un fait réel, le chirurgien étant le chef de l´équipe et conduisant toutes les étapes de l´intervention chirurgicale. Selon le modèle de Karasek, les chirurgiens peuvent être considérés comme des « sujets actifs ». Les TMS constituent des maladies professionnelles, inscrites au titre des pathologies indemnisables au Sénégal. La prévention de ces TMS apparait comme la meilleure stratégie de lutte, avec une véritable politique de santé et de sécurité dans le secteur hospitalier prenant en compte l´information, la sensibilisation, et l´éviction des facteurs de risques. Dans le milieu chirurgical, les axes spécifiques de prévention peuvent être retrouvés dans l´activité physique (étirement, renforcement musculaire) et l´ergonomie du travail avec la chirurgie assise et la chirurgie robotique [13].

 

 

Conclusion Up    Down

Au regard de cette étude préliminaire, il apparait déjà que les TMS dans le secteur du bloc opératoire sont fréquents et non déclarés, avec une prédominance des atteintes du rachis. Les contraintes posturales ainsi que les facteurs psychosociaux jouent un rôle important dans leur survenue. La prévention en est le meilleur traitement et sera un élément important d´une politique de santé et de sécurité au travail dont l´élément-moteur sera une campagne d´Information, d´Éducation et de Communication (IEC).

Etat des connaissances sur le sujet

  • La prévalence élevée des TMS de manière générale dans les pays développés, et de manière particulière chez le personnel de soins, constituant un véritable problème de santé publique;
  • L´importance des facteurs de risques connus, notamment les facteurs biomécaniques, organisationnels, et psychosociaux.

Contribution de notre étude à la connaissance

  • L´évaluation de la prévalence des TMS dans une catégorie socioprofessionnelle spécifique (chirurgiens);
  • La détermination des facteurs de risques propres à l´activité du chirurgien dans un pays africain.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Mohamed Lamine Diao, Armandine Eusebia Roseline Diatta, Abdourahmane Ndong, Pape Ousmane BA, Ibrahima Konate, Mame Coumba Gaye et Mor Ndiaye ont participé à la rédaction du manuscrit. Tous les auteurs déclarent avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Tableau et figures Up    Down

Tableau 1: moyennes des scores concernant les facteurs psychosociaux

Figure 1: répartition corporelle des TMS

Figure 2: moyennes des scores concernant la gravité des atteintes

Figure 3: observation de situation de travail avec table opératoire inadaptée à la taille du chirurgien effectuant une hyperflexion prolongée du cou pour mieux voir (Photo : Dr M. L. DIAO)

 

 

Références Up    Down

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