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Case report

Complications péri-opératoire d´une cure chirurgicale de corticosurrénalome malin chez l´enfant: quelles implications pour l´anesthésiste réanimateur? A propos d´un cas

Complications péri-opératoire d´une cure chirurgicale de corticosurrénalome malin chez l´enfant: quelles implications pour l´anesthésiste réanimateur? A propos d´un cas

Perioperative complication of a surgical treatment of malignant corticosurrenaloma in children: what are the implications for the anesthesiologist-resuscitator? a case report

Ibrahima Sory Sidibe1,&, Said Benlamkaddem1, Mohamed Adnane Berdai1, Moustapha Harandou1

 

1Service d´Anesthésie-Réanimation Mère-Enfant, Centre Hospitalier Universitaire Hassan II, Université Sidi Mohamed Ben Abdallah, Fès, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Ibrahima Sory Sidibé, Service d´Anesthésie-Réanimation Mère-Enfant, Centre Hospitalier Universitaire Hassan II, Université Sidi Mohamed Ben Abdallah, Fès, Maroc

 

 

Résumé

Le corticosurrénalome (CS) est une tumeur rare et agressive caractérisée par une hypersécrétion hormonale de glucocorticoïde, de minéralocorticoïde, d´androgènes et plus rarement d´aldostérone. Sa forme sécrétant est généralement évocatrice de la maladie chez l´enfant et est souvent responsable des modifications morphologiques et physiologiques à l´origine de sa complexité anesthésique. La prise en charge anesthésique du CS repose sur les impératifs anesthésiques suivants: l´évaluation des facteurs de risques, l´équilibre hydro-électrolytique, le contrôle de l´hypertension artérielle, de l´hyperglycémie en préopératoire, le maintien per-opératoire de la stabilité hémodynamique et métabolique, la prévention et gestion des complications métaboliques, infectieuses, thromboemboliques et la corticothérapie substitutive en postopératoire (PO). Malgré la difficulté anesthésique du CS sécrétant, il n´y a pas de littérature abondante sur son anesthésie. Dans ce travail, nous détaillons l´essentiel de la prise en charge anesthésique et réanimatoire du CS sécrétant à travers l´observation d´un cas pédiatrique compliqué en péri-opératoire durant notre prise en charge.


Adrenocortical carcinoma (AC) is a rare and aggressive tumor characterized by hypersecretion of glucocorticoid hormones, mineralocorticoid hormones, androgens and more rarely aldosterone. Its secreting form is generally suggestive of the disease in children and is often responsible for the morphological and physiological changes that cause its anesthetic complexity. The anesthetic management of AC must be based on compliance with the following anesthetic requirements: assessment of risk factors, fluid and electrolyte balance, preoperative control of arterial hypertension and hyperglycemia, maintenance of per operative hemodynamic and metabolic stability; prevention and management of metabolic, infectious, thromboembolic complications and postoperative corticosteroid therapy (PO). Despite the anesthetic difficulty of secreting AC, there is not enough studies on its anesthesia. In this work, we will discuss the importance of the anesthetic and resuscitation management of secreting AC through the observation of one pediatric case which saw a peroperative complication during its management in our centre.

Key words: Pediatric anesthesia, adrenocortical carcinoma secreting, perioperative complications, case report

 

 

Introduction    Down

Le corticosurrénalome est une tumeur rare et agressive avec un taux de survie à 5 ans de 20% à 35% [1]. Son diagnostic est évoqué sur des arguments cliniques, biologiques, radiologiques et confirmé par l´examen anatomopathologique. Sa résection tumorale au stade précoce est un élément de bon pronostic. Comme toutes tumeurs surrénaliennes sécrétant, son anesthésie reste un défi pour l´anesthésiste. Dans ce travail, nous rapportons l'observation d'une patiente de 11 ans opérée sous anesthésie générale pour corticosurrénalome malin, qui a présenté des complications péri-opératoires suite à la résection tumorale.

 

 

Patient et observation Up    Down

Il s´agit d´une patiente âgée de 11 ans, mesurant 130 cm et pesant 50kg, ayant des antécédents de crises convulsives. Admise pour la prise en charge d´un CS sécrétant évoqué devant un syndrome hormonal mixte fait d´un syndrome de cushing, de virilisation et d´hirsutisme. Son bilan hormonal était positif, avec les cortisolémies de 8h et de 21h élevées respectivement (119.6 μg/dl et 89 μg/dl), le cortisol libre urinaire augmenté (363μg/24H), le test de freinage à la dexamethasone négatif et le taux de testostérone élevé (5.62mmol/l). Sa tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne (TDM-TAP) objectivait une volumineuse masse tumorale surrénalienne gauche encapsulée sans signes d´envaillissement locorégional ni de localisation secondaire. Devant ces arguments cliniques et para-cliniques, le CS a été suspecté et l´indication de la surrénalectomie gauche, posée. Les particularités à la consultation pré-anesthésique étaient: un score ASA à III, une hypertension artérielle à 170/100mmHg, une tachycardie à 120 battements, la présence des critères prédictifs d'intubation difficile (cou court et large, espace sous mandibulaire inferieurs à 35mm). En per-opératoire, la patiente avait bénéficié d´un monitorage standard (PNI: 130/60mmhg, FC 80 battements, SPO2: 97%), puis, invasif de la PA et d´une voie veineuse centrale. L´anesthésie était générale avec une induction standard (fentanyl 150mcg, propofol 200 mg et rocuronium 30mg), le contrôle des voies aériennes était facile.

 

En peropératoire, la résection tumorale par laparotomie était marquée d´une chute brutale de la PA à 60/30 mmhg et d´une bradycardie à 35 battements, jugulés par le remplissage au cristalloïde et les vasopresseurs (éphédrine et noradrénaline). La gazométrie du sang artérielle (GDSA) en per-opératoire était en faveur d´une alcalose métabolique hypokaliémique (Ph 7.50, Hco3- 30,6 PaCo2: 38 K+: 2,9 Na+: 123), d´où l´administration d´une charge potassique de 2g en intraveineuse lente (IVL) à la seringue électrique (SE). En PO, les suites immédiates ont été marquées par des pics hypertensifs, et des épisodes d´hypokaliémies et hypoglycémies, d´où la reprise de son traitement et le démarrage d´une corticothérapie substitutive. L´évolution tardive était compliquée d´une infection de la paroi, traitée avant sa sortie à domicile à J26 PO. Par ailleurs, l´étude anatomopathologique a confirmé le corticosurrénalome malin (CSM) avec un score de Weiss à sept (7).

 

 

Discussion Up    Down

Le CS est une tumeur maligne développée aux dépends du cortex surrénalien. Il représente moins de 1% des cancers pédiatriques. C´est une pathologie qui atteint différents groupes d´âge, il est plus fréquent chez l´enfant de moins de 5 ans, et chez l´adulte autour des 4e - 5e décennies, avec une prédominance féminine [2]. Les symptômes peuvent résulter d'une hypersécrétion de stéroïdes et ou de croissance tumorale et métastases [3]. Chez l´enfant, 95% des tumeurs fonctionnent et sécrètent des quantités variables de stéroïdes sexuelles, de glucocorticoïdes et de minéralocorticoïdes [2]. Cette hypersécrétion hormonale au cours du CS est généralement dominée par un excès de production de glucocorticoïde responsable du syndrome de Cushing (30%), associant l´hyperandrogénisme (20%) et l´hyperoestrogénismes (10%) [4].

 

Depuis la description du premier cas pédiatrique de tumeur surrénalienne en 1865, des cas ont été rapportés. Cependant, il semble y avoir peu de littérature sur sa prise en charge anesthésique surtout chez l´enfant [2]. Pourtant, son anesthésie est très complexe, du fait des difficultés liées à la gestion périopératoire des conséquences de l´hypersécrétion hormonale, de la corticothérapie substitutive, des risques de changements physiologiques dramatiques liées à l´anesthésie, de l´effet hémodynamique de l´anesthésie dans un contexte hémodynamique et biochimique précaire [2]. L´anesthésie du CS secrétant avec syndrome de cushing nécessite une planification basée sur l´évaluation des facteurs de risques, l´optimisation du patient en préopératoire, la prévention et la gestion des complications périopératoires.

 

L´examen préopératoire recherchera les facteurs de risques suivants: risques liés à l´anesthésie: intubation difficile, inhalation gastrique, complications respiratoires, complications de décubitus, cardio-vasculaire, troubles métaboliques; risques liés à la chirurgie: hémorragique, infectieuse, thromboembolique; facteurs de risque personnel ou liés à la maladie: hypertension artérielle, cardiopathie, diabète etc. Cette étape est suivie d´une optimisation du patient par la correction des désordres hydroéléctrolytiques, de l´hypertension, de l´hyperglycémie, de l´hypokaliémie, de la dysnatrémie, de l´état hypercoagulabilité. Ainsi, la gestion médicamenteuse en préopératoire consistera à l´administration des antihypertenseurs jusqu'au matin de la chirurgie, sauf pour les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II (ARAII) car leur effet hypotenseur est exagéré après l'induction anesthésique. Les antidiabétiques oraux (ADO) seront arrêtés avant la chirurgie [5], et substitués par l'insuline. Egalement, l'hypercortisolisme peut être contrôlé par les inhibiteurs des enzymes naturelles tels que le kétoconazole, la métyrapone, le mitotane ou l'amino glutéthimide, administrés seuls ou en association [5].

 

Durant la période opératoire, l'anesthésiste doit faire attention au positionnement du patient, pour prévenir les fractures osseuses et les dommages cutanés. Il est établit que l´obésité androide secondaire au syndrome de Cushing et la faiblesse musculaire proximale exposent aux risques de complications respiratoires (ventilation et intubation difficile, réduction de la CRF et d´inhalation). Et également au risque d'inhalation gastrique, qui peut être évité en utilisant du métoclopramide, la ranitidine et du citrate de sodium. Lors de la gestion des voies aériennes, la sédation profonde doit être évitée en raison du risque d'hypoxie. La ventilation au masque et l'intubation endotrachéale peuvent être difficiles [5]. Les risques de complications respiratoires peuvent être évités par une préoxygénation et une extubation appropriée. Chez notre patiente, le contrôle des voies aériennes a été facile. La surveillance peropératoire nécéssitera le monitorage standard (pression artérielle non invasive, la température, la capnographie, l´oxymétrie de pouls et électrocardiogramme). La surveillance invasive est recommandée, elle comprendra le cathéter de Swan-Ganz et la pression artérielle invasive. L´accès veineux central est obligatoire pour faciliter l'administration des fluides et des médicaments [5].

 

L'utilisation de l'anesthésie péridurale semble être utile, pour contrôler la douleur et la réduction des complications cardio-pulmonaires. L´hemysuccinate d'hydrocortisone doit être disponible en salle d'opération afin d'éviter une éventuelle déficience en glucocorticoïdes [5]. La surrénnalectomie au cours du CS secrétant, peut entrainer des variations hémodynamiques [2]. Bien que celles-ci soient particulièrement plus marquées et fréquentes dans les tumeurs neuroendocrines (phéochromocytome) [6]. Dans le CS sécrétant, l´hypotension artérielle secondaire à la surrénalectomie à des mécanismes complexes : le glucocorticoïde améliore la synthèse des catécholamines dans la médullosurrénales et a des effets vasopresseurs sur le système vasculaire périphérique. Ainsi, en l'absence de cortisol, l'action vasopressive des catécholamines est réduite et une hypotension s'ensuit [2].

 

Le cortisol est fortement lié aux protéines à 90% mais seulement 10% représente la forme disponible physiologiquement active. En conséquence, il a une action transitoire et une fois que la source de cortisol est supprimée, il est probable qu´un manque soit ressenti si la surrénale normale est supprimée [2]. Cela constitue la base de la crainte qu'en l'absence de stéroïdes supplétifs, un patient souffrant de suppression surrénalienne aura un collapsus cardiovasculaire. Cependant, il a été constamment prouvé qu'il y avait très peu d'association démontrée entre la corticothérapie et la suppression surrénalienne induite et cet effondrement périopératoire [2]. Il est établit que l'hypokaliémie et l'alcalose métabolique peuvent retarder l'action des bloqueurs neuromusculaires, induisant une bradycardie [5]. Hormis l´hypotension, la suppression surrénalienne induit une hypoglycémie. Il est donc obligatoire de contrôler le niveau de cortisol chez le patient ayant une sécrétion de cortisol inadéquate en préopératoire, ainsi que la supplémentation en cortisol [5]. Chez notre patiente, l´instabilité hémodynamique s´expliquerait par le sevrage au cortisol après l´ablation de la surrénale et par l´alcalose métabolique hypokaliémique.

 

Par ailleurs, le syndrome de cushing peut entrainer l´hyperglycémie qui augmente la morbi-mortalité, le taux d'infection postopératoire et la durée d´hospitalisation [5]. Dans notre cas, la patiente n´avait pas d´hyperglycémie, mais elle a présenté une infection postopératoire qui a prolongé son séjour à l´hôpital. Chez les patients présentant le syndrome de Cushing, la prévention des événements thromboemboliques peut être réalisée à l'aide de l'héparine de bas poids moléculaire (HBPM), de dispositifs de compression des membres inférieurs et d'une mobilisation postopératoire précoce [7]. Le risque thromboembolique chez notre patiente était important entre autres: maladie néoplasique, obésité, chirurgie majeure, cathéter veineux central. Cependant, la thromboprophylaxie chez elle a consisté en une réhabilitation postopératoire précoce.

 

 

Conclusion Up    Down

Le CS est une tumeur rare de mauvais pronostic, sa forme secrétant domine chez l´enfant et est souvent pourvoyeuse de complications péri-opératoire. La prise en charge anesthésique du CS sécrétant nécessite une évaluation préopératoire des facteurs de risques, le contrôle de l´hypersécrétion hormonale, l´optimisation préopératoire du patient, le contrôle de la stabilité hémodynamique et métabolique en peropératoire, ainsi que la prévention et gestion des complications postopératoires et la corticothérapie substitutive.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

L´ensemble des auteurs ont participé à la prise en charge de la patiente à la rédaction et à la correction du manuscrit. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Références Up    Down

  1. Icard P, Louvel A, Chapuis Y. Survival rates and prognostic factors in adrenocortical carcinoma. World J Surg. 1992;16(4):753-8. PubMed | Google Scholar

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