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Case report

Les particularités anesthésiques d´un patient porteur de maladie de Von Willebrand pour chirurgie hémorragique

Les particularités anesthésiques d´un patient porteur de maladie de Von Willebrand pour chirurgie hémorragique

Anesthetic peculiarities of a patient with Von Willebrand´s disease at risk of intraoperative hemorrhage

Hamza Najout1,&, Anass El Bouti1, Amine Belghiti1, Abdelhamid Jaafari1, Mustapha Bensghir1

 

1Service d´Anesthésiologie, Hôpital Militaire Med V, Université Souissi, Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Hamza Najout, Service d´Anesthésiologie, Hôpital Militaire Med V, Université Souissi, Rabat, Maroc

 

 

Résumé

La maladie de Von Willebrand (MVW) est la plus fréquente des maladies constitutionnelles de l´hémostase. Elle est souvent responsable de saignements mineurs. Elle peut toutefois se compliquer d´hémorragies graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital en particulier lors des interventions chirurgicales. L´objectif de la prise en charge anesthésique est de corriger l´hémostase afin de maîtriser le risque hémorragique per- et postopératoire. Nous décrivons, à travers l´observation d´un patient qui a été programmé pour une résection transuréteral de prostate (RTUP) avec montée de sonde double J, la stratégie de prise en charge périopératoire.


Von Willebrand disease (VWD) is the most common of constitutional hemostasis disorders. It often causes minor bleeding. However it may be complicated by serious bleeding that can lead to life-threatening complications, especially during surgical treatments. Anesthesia aims to correct hemostasis, in order to control the risk of postoperative and intraoperative hemorrhage. We here report the case of a patient who was scheduled for transurethral prostate resection (TUPR) placing double-J catheter, to highlight intraoperative treatment.

Key words: Willebrand disease, anesthesia, surgery, Von Willebrand factor, tranexamic acid

 

 

Introduction    Down

La maladie de Willebrand (MW) est la maladie hémorragique constitutionnelle la plus fréquente au monde, avec une prévalence estimée à 1% [1]. Elle englobe plusieurs entités qui ont en commun un déficit quantitatif (type 1 et 3) ou qualitatif (type 2) en facteur de Von Willebrand (FVW) [2,3]. La prise en charge péri opératoire des patients porteurs de MW a pour objectif fondamental de prévenir l´hémorragie [2]. Nous décrivons, à travers l´observation d´un patient atteint de cette maladie programmé pour une résection transurétérale de prostate (RTUP) avec montée de sonde double J, la stratégie de prise en charge péri opératoire.

 

 

Patient et observation Up    Down

Un consentement clair et écrit du patient a été obtenu avant la publication de cette observation. Il s´agissait d´un patient âgé de 65 ans porteur d´un rein gauche ectopique pelvien avec un uretère infantile, programmé pour RTUP avec montée de sonde double J. Dans ses antécédents, on trouvait une MW type 1, découverte à l´âge de 35ans devant la survenue de gingivorragies récidivantes avec des hématomes spontanés au niveau des cuisses. Lors de la consultation pré-anesthésique, l´anamnèse rapportait la notion de saignement cutanéo-muqueux facilement provoqué (gingivorragies, lésions ecchymotiques), une dysurie, un jet urinaire faible avec douleur lombaire gauche. Sur le plan général le patient était conscient, calme et coopérant, les conjonctives normalement colorées avec un index de masse corporelle à 22,09 Kg/m2. Par ailleurs, on notait la présence d´une lésion ecchymotique au niveau du bras gauche. Le patient était asymptomatique sur le plan cardiovasculaire et respiratoire, la tension artérielle (TA) était à 120/65 mmHg, fréquence cardiaque à 65batt/min et la saturation pulsée en oxygène à 100% à l´air ambiant. L´évaluation des voies aériennes supérieures ne décelait pas de critères d´intubation ou de ventilation difficile.

Le bilan d´hémostase de première intention montrait un taux d´hémoglobine à 15g/dl, les plaquettes à 280000/mm, le TP à 90%, la TCA à 59/29 secondes (Ratio à 2) avec un temps de saignement selon la méthode d´IVY 3 incisions à 11 minutes 30 secondes. Le bilan d´hémostase de deuxième intention objectivait un taux du FVW à 11% par méthode antigénique et à 16% par méthode fonctionnelle avec un taux de facteur VIII à 15%. Le patient était programmé pour une chirurgie hémorragique, et donc la technique anesthésique choisie était l´anesthésie générale. Lors de la visite pré-anesthésique, le patient était mis sous hydroxizine 75mg avec réalisation de groupage ABO, Rhésus et recherche d´agglutinines irrégulières avec demande de sang phénotypé. Le matin de l´intervention, le patient était mis sous concentrés plasmatiques en FVW (Wilifactin*) à la posologie de 40UI/Kg soit 2800UI, en perfusion continue à la pousse seringue électrique 1h avant le geste. Au bloc opératoire le patient a été installé en décubitus dorsal avec monitorage de la pression non invasif (PNI), un électrocardioscope 5 dérivations et un oxymètre de pouls pour la SpO2. Une voie veineuse périphérique 16G a été prise avec pré-oxygénation par masque à haute concentration 8L/min. L´induction anesthésique a été réalisée par 250μg de fentanyl, 120mg de propofol et 40mg d´esmeron.

L´intubation orotrachéale était réalisée sans difficultés (Cormack et Lehane grade I, cordes vocales en abduction) par sonde trachéale calibre 70mm et le patient a été branchée au respirateur après vérification de l´emplacement et la symétrie par l´auscultation pulmonaire. La ventilation était en mode volume contrôlé. L´acide tranexamique a été perfusé sur 30min avant le geste à la dose de 10mg/Kg, soit 700mg. Après la mise en position opératoire (position de lithotomie) le geste opératoire, d´une durée de 55 min, consistait à une résection-vaporisation bipolaire avec mise en place d´une sonde double J. Les pertes sanguines étaient négligeables et les apports limités à 1,5L de sérum salé 0,9%. Durant toute la durée de l´intervention, le patient gardait une tension artérielle stable entre 100-110/55-60 mmHg avec une fréquence cardiaque entre 70 et 80batt/min. La SpO2 est resté à 100% et la fraction expirée de CO2 à 35mmhg. En salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI), après réchauffement et réveil complet, le patient a été extubé vingt minutes après la fin de l´intervention, puis transféré au service. En postopératoire, les concentrés plasmatiques en FVW ont été perfusés à la seringue auto-pulsée sur 1h à la posologie de 2800UI deux fois par jour pendant 4 jours. L´analgésie a été assurée par le paracétamol à la posologie de 1g toutes les 6h pendant 3 jours. La prévention mécanique de la maladie thrombo-embolique veineuse a été réalisée par les bas de contention. La sonde urinaire a été retirée au 3ème jour après éclaircissement des urines. Le bilan d´hémostase réalisé au 5ème jour, a objectivé un TCA à 31/31 secondes (RATIO à 1) avec taux du FVW par méthode antigénique et du facteur VIII à 200%. L´exéat a eu lieu au 6ème jour d´hospitalisation.

 

 

Discussion Up    Down

Le FVW, secrété par les cellules endothéliales et par les mégacaryocytes, joue un rôle important aussi bien dans l´hémostase primaire que dans la coagulation. En effet, il a un rôle de colle biologique permettant l´adhésion plaquettaire dans l´hémostase primaire et permet également le transport du facteur VIII qui intervient dans la coagulation [4]. La MW, la plus fréquente des maladies hémorragiques héréditaires (1% de la population générale [1]), englobe plusieurs entités qui ont en commun un déficit quantitatif (type 1 et 3) ou qualitatif (type 2) en facteur de Willebrand (FVW) [2]. Cette population est exposée à un risque hémorragique surajouté, en particuliers lors des interventions chirurgicales [2], d´où l´intérêt d´une prise en charge péri opératoire multidisciplinaire nécessitant la collaboration entre le médecin anesthésiste, l´hématologue, le biologiste et le chirurgien [5]. La prise en charge péri-opératoire débute par un interrogatoire minutieux précisant les circonstances du diagnostic, le statut phénotypique de la maladie et l´existence d´antécédents hémorragiques ainsi que leur gestion [5]. Le bilan biologique d´hémostase incluant initialement le TP, TCA et la numération plaquettaire avec au besoin le temps de saignement, dosage de FVW et du facteur VIII permet de quantifier la sévérité de la maladie [6]. En effet la maladie est classé en deux grades de sévérité et notre patient était grade II avec haut risque hémorragique. Les données de l´interrogatoire et du bilan biologique associées à la nature du geste invasif permettent d´évaluer le risque hémorragique, qui est proportionnel au taux du FVW et au taux du facteur VIII, permettant ainsi de choisir la stratégie thérapeutique appropriée visant à la fois de corriger l´hémostase primaire et la coagulation [7].

Notre patient était connu porteur de la MW type I, rapportant des hémorragies cutanéo-muqueuses à répétition, avec taux de FVW à 11% par méthode antigénique et à 16% par méthode fonctionnelle, associé à un taux de facteur VIII à 15%, programmé pour chirurgie hémorragique. Il existe deux produits utilisés pour prévenir le saignement peropératoire: la desmopressine et les concentrés plasmatiques de VWF et de FVIII. Le choix dépend du type de la maladie, de la réponse à la desmopressine et de la nature du geste [5]. La desmopressine (analogue de l´hormone antiduirétique) a pour propriété de mobiliser le FVIII et le VWF depuis leurs sites de stockage intracellulaire vers le plasma. La dose recommandée est de 0,3μg/kg, administrée en 30 minutes par voie intraveineuse. Cela permet une élévation des taux de base FVW et de facteur VIII de 3 à 5 fois, dans les trente minutes suivant l´injection. Les taux restent en général élevés pendant 6 à 8heurs. L´administration peut être renouvelée toutes les 12 à 24heures. Les contre-indications à l´usage de desmopressine sont l´âge de moins de 2 ans et les patients au terrain vasculaire. Le risque de rétention hydrosodique impose une restriction hydrique [8]. Le traitement substitutif, à base de FVW seul ou associé au facteur VIII, doit être réservé aux patients non répondeurs ou présentant des contre-indications à la desmopressine, et lors des gestes hautement hémorragiques (car difficulté de procuration et coût élevé). Ces concentrés sont administrés par voie intraveineuse à la posologie de 35-50UI/kg, toutes les 12h ou 24h en fonction du risque hémorragique [5]. Dans les situations à faible risque hémorragique, chez les patients répondeurs, la desmopressine est indiquée.

L´objectif est de maintenir une activité du FVW supérieure à 50 % pendant 3 à 5 jours. En revanche, dans les situations à haut risque hémorragique, en cas de contre indication ou chez les patients non répondeurs à la desmopressine, le traitement substitutif est nécessaire d´emblée. En cas de déficit en facteur VIII associé, avec des taux de base inférieur à 40%, un traitement substitutif par facteur VIIII est à associer à la posologie de 20 à 30UI/kg, à l´initiation du traitement substitutif. Par la suite, seul le FVW reste administré. L´objectif est de maintenir une activité du FVW supérieure à 50% pendant 7 à 14 jours [5]. Un traitement adjuvant anti-fibrinolytique par acide tranexamique peut être adjoint, dans tout type de chirurgie. La posologie est de 10 mg/kg, trois fois par jour. Notre patient était à haut risque hémorragique, d´où l´usage d´emblé de traitement substitutif. Le choix de la technique anesthésique (anesthésie générale/anesthésie locorégionnale ou neuroaxiale) dépend essentiellement de la préparation préopératoire et donc du taux préopératoire du FVW. Une revue systématique de la littérature récente de 507 techniques d'anesthésie locorégionale (rachianesthésie, rachi-épidurale combinée, analgésie épidurale et bloc paravértébral) pour des patientes avec hémophilie et maladie de Von Willebrand, signale une seule complication dans laquelle la diathèse hémorragique a été non diagnostiquée avant l'insertion de l'aiguille [9].

Il s'agissait d'un cas d'hématome rachidien après ponction lombaire chez une hémophile conduisant à la paraplégie permanente [9]. Actuellement il n´existe pas de recommandations sur la pratique des techniques d´anesthésie locorégionale, en particuliers neuroaxiale, ainsi que le taux minimal de FVW nécessaire. En postopératoire, les taux du FVIII et du FVW doivent être maintenus supérieur à 50% jusqu´à cicatrisation. Le traitement substitutif postopératoire sera poursuivi dans tous les cas par la perfusion de facteur Willebrand dépourvu de facteur VIII. La fréquence des perfusions est variable: 1 à 2 perfusions par jour, à l'exception de la maladie MW type 3 qui peut souvent nécessiter trois perfusions par jour [10]. L´analgésie post opératoire fait appel aux antalgiques de différents paliers. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont à éviter, car majorent le risque hémorragique. La thrombo-prophylaxie est à mettre en place selon les recommandations en même temps que la supplémentation par concentré de facteur Willebrand. Si une anticoagulation prolongée est nécessaire, la supplémentation en facteur Willebrand est alors également prolongée. Dans notre cas l´analgésie a été assurée par du paracétamol et la thrombo-prophylaxie par les moyens mécaniques.

 

 

Conclusion Up    Down

La MW est la plus fréquente des maladies constitutionnelles de l´hémostase. Elle est souvent responsable de saignements mineurs. Elle peut toutefois se compliquer d´hémorragies graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital en particulier lors des interventions chirurgicales. Dans l´objectif de réduire ce risque opératoire, il est impératif pour tout médecin anesthésiste-réanimateur de maitriser davantage la physiopathologie de la maladie, ses types et sous types et les principes de prise en charge périopératoire.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Références Up    Down

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