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Case report

Neurobrucellose d'évolution défavorable manifestée par des troubles émotionnels (à propos d'un cas)

Neurobrucellose d´évolution défavorable manifestée par des troubles émotionnels (à propos d´un cas)

Case study of neurobrucellosis with negative outcome manifesting as emotional disorders

Ahlem Trifi1,&, Khaoula Ben Ismail1, Cyrine Abdennebi1, Sami Abdellatif1, Salah Ben Lakhal1

 

1Service de Réanimation Médicale, Centre Hospitalo-universitaire la Rabta, Université El Manar, Tunis, Tunisie

 

 

&Auteur correspondant
Ahlem Trifi, Service de Réanimation Médicale, Centre Hospitalo-universitaire la Rabta, Université El Manar, Tunis, Tunisie

 

 

Résumé

La brucellose est une infection zoonotique commune dans de nombreux pays du monde causée par la bactérie Brucella. La brucellose est transmise à l'homme par contact direct avec des animaux infectés, par inhalation d'aérosols ou par ingestion de lait ou de produits laitiers non pasteurisés. La brucellose humaine est une maladie multi-systémique avec large spectre de manifestations cliniques. La neurobrucellose peut se développer à n'importe quel stade de la maladie et peut avoir des manifestations très variables. Nous rapportons le cas d'un patient de 59 ans, qui présentait une humeur dépressive, une irritabilité avec isolement social, compliqués secondairement par d´un coma. La neurobrucellose était confirmée par des hémocultures positives à Brucella, une sérologie Wright positive au 1/320 et une atteinte démyélinisante sur l'imagerie par résonance magnétique. Le malade a reçu de la rifampicine combinée au sulfaméthoxazole-triméthoprime pendant 6 semaines. L´évolution était défavorable, marquée par un état végétatif.


Brucellosis is a common zoonotic infection in many countries. It is caused by bacterium Brucella. Brucellosis can be transmitted to humans through direct contact with infected animals, aerosols inhalation or ingestion of milk or not pasteurized dairy products. Human brucellosis is a multi-systemic disease characterized by a wide spectrum of clinical manifestations. Neurobrucellosis can occur at any stage of the disease and can have very variable manifestations. We report the case of a 59-year-old patient with depressed mood, irritability associated with social isolation complicated by coma. Neurobrucellosis was confirmed by positive blood cultures for brucella, positive Wright´s serological test 1/320 and demyelinating disease on magnetic resonance imaging. The patient received rifampicin combined with trimethoprim-sulfamethoxazol for 6 weeks. Outcome was adverse characterized by vegetative state.

Key words: Neurobrucellosis, coma, encephalitis, Wright´s serological test

 

 

Introduction    Down

La brucellose est une zoonose ubiquitaire touchant en particulier les pays méditerranéens et le Moyen-Orient. Son incidence est en nette régression dans les pays développés alors qu'elle pose toujours un problème de santé publique dans les pays en voie de développement [1]. La neurobrucellose peut se développer à n'importe quel stade de la maladie et peut avoir des manifestations très variables, notamment une encéphalite, une méningo-encéphalite, une radiculite, une myélite, des neuropathies périphériques et crâniennes, une hémorragie sous-arachnoïdienne et des manifestations psychiatriques [1]. Dans la littérature, les critères diagnostiques de la neurobrucellose posent un problème. Selon certains auteurs, le diagnostic de neurobrucellose pourrait être basé sur des symptômes neurologiques cliniques, alors que selon d'autres auteurs, le diagnostic repose sur des preuves microbiologiques et/ou biochimiques du liquide céphalo-rachidien [2-4]. Nous rapportons une observation d'un patient de 59 ans, qui présentait une humeur dépressive, une irritabilité avec isolement social, associée par la suite à une confusion et un coma. Le diagnosic de neurobrucellose était posé sur des hémocultures positives à brucella, une sérologie Wright positive au 1/320 et une atteinte démyélinisante sur l'imagerie par résonance magnétique (IRM). L´évolution était défavorable avec installation d´un état végétatif.

 

 

Patient et observation Up    Down

Il s´agit d´un homme âgé de 59 ans, sans antécédents pathologiques, hospitalisé dans notre service pour coma. L´histoire de la maladie remonte à 3 mois avant son hospitalisation, marquée par l´installation de céphalées sans vomissement, ni sono-photophobie associées à une humeur dépressive et isolement social. Il a eu des consultations en psychiatrie avec prise de traitement antalgique et anxiolytique sans effet. L´évolution était marquée par une fièvre inconstante, apparition des arthromyalgies et une persistance des céphalées avec installation progressive d´un déficit moteur touchant les quatre membres avec une fuite urinaire puis confusion et coma. Le patient a été alors hospitalisé où il a été intubé ventilé. À l´examen, le patient était intubé ventilé, non sédaté, score de Glasgow à 4 (ouverture des yeux : 1, réponse verbale : 1, réponse motrice : 2 (patient en décérébration)). Les reflexes du tronc cérébral étaient présents, il avait un nystagmus paroxystique. Sa température était à 37,8°C, stable sur le plan hémodynamique. À la biologie, il avait une leucopénie à 3700 éléments/mm3, la C-reactive proteine (CRP) à 80 mg/l, une rhabdomyolyse avec créatinine phosphokinase (CPK) à 3500 UI/l, la fonction rénale et hépatocellulaire étaient normales et pas de cytolyse. Une série d´examens complémentaires a été effectuée à savoir une tomodensitométrie cérébrale avec injection de produit de contraste revenue sans anomalie.

L'IRM cérébro-médullaire a objectivé des lésions en plage de la substance blanche bilatérales autour des ventricules latéraux, hyperintenses en séquences pondérés T2 et Flair (Figure 1). Une ponction lombaire a été faite montrant une pleiocytose à 15 éléments/mm3, avec hyperproteinorrachie à 0,7 g/l, une normoglycorachie et une culture négative. Un électroencéphalogramme (EEG) a montré un microvoltage avec une souffrance cérébrale diffuse sans onde de pointes. Il a été mis initialement sous cefotaxime et aciclovir à dose méningée en vue de traiter une méningo-encéphalite mais sans amélioration. À la reprise de l´anamnèse, la fièvre était d´allure sudoro-algique avec une surconsommation de lait cru et dérivés et il y avait du cheptel dans l´entourage. On a complété alors par une sérologie de Wright revenue positive à 1/380, une hémoculture positive à Brucella. Ces dernières données avec celles de l´IRM ont permis de retenir le diagnostique de neurobrucellose. La conduite a consisté à une bithérapie par rifampicine 600 mg x 2 par jour et sulfaméthoxazole-triméthoprime 1600 mg/320 mg par jour pendant une durée de 6 semaines. L´évolution était défavorable avec absence de réveil et état végétatif.

Statut éthique : les auteurs déclarent qu´ils ont obtenu un consentement éclairé pour la publication de la part de la famille du patient.

 

 

Discussion Up    Down

La brucellose est une zoonose majeure fréquente dans le monde, touchant plus de 500000 personnes par an. Le germe qui en est responsable est un gram négatif appartenant au genre Brucella. Plusieurs espèces sont décrites dont les plus fréquentes sont Brucella abortus et Brucella melitensis. La prévalence de la maladie peut atteindre dans les pays méditerranéens 10/100 000 habitants [5]. C'est une maladie à déclaration obligatoire reconnue comme maladie professionnelle pour les individus au contact de ruminants infectés ainsi que pour le personnel de laboratoire [6]. La transmission à l'homme se fait principalement par contact direct avec le bétail, en général par voie cutanéo-muqueuse ou indirectement par voie digestive; la contamination est alors liée aux habitudes alimentaires (lait cru, fromage frais, crème non pasteurisée). La contamination interhumaine est exceptionnelle [7]. Les manifestations cliniques de la brucellose sont peu spécifiques. Elles peuvent survenir sur un mode aigü, ou être plus insidieuses. Elle se manifeste le plus souvent sous forme d'un tableau pseudo-grippal avec fièvre, sueurs, anorexie, asthénie, céphalées, myalgies et arthralgies. L´évolution spontanée de la brucellose se caractérise surtout par la possibilité de survenue de localisations secondaires qui font la gravité de la maladie. Celles-ci peuvent être notamment neuro-méningées, cardiaques, ostéo-articulaires, hépatospléniques ou génitales [2]. Les formes chroniques se définissent par une évolution prolongée au-delà d'un an, avec ou sans découverte d'un foyer infectieux focalisé [8]. L'atteinte du système nerveux est rare dans la brucellose avec une grande diversité des modes de présentation clinique [9]. La fréquence des manifestations neurologiques de la brucellose reconnue par neurobrucellose ne dépasse pas 10% des cas [7, 9]. Il peut s'agir de méningite, de méningo-encéphalite aigüe ou chronique, d'hypertension intracrânienne, de méningomyélite, de compression médullaire par spondylodiscite, de syndrome cérébrovasculaire, d'atteinte de nerfs crâniens ou de polyradiculo-névrite [1].

Les critères nécessaires pour retenir l'atteinte neurologique au cours d'une brucellose sont : la présence de signes cliniques neurologiques, des anomalies du liquide céphalorachidien (LCR) avec prédominance lymphocytaire et hyperprotéinorrachie, la mise en évidence du germe au niveau du LCR après culture ou sérologie brucellienne positive, une hémoculture positive à brucelle et enfin une réponse favorable après antibiothérapie avec baisse du taux de lymphocytes et des protéines au niveau du LCR [10]. Dans notre cas, trois des quatre critères sus-cités ont été présents. Les anomalies à l´IRM du système nerveux central le plus souvent observées dans la neurobrucellose sont de trois types : lésions inflammatoires, anomalies de signal de la substance blanche et lésions vasculaires ischémiques [9]. L'IRM de notre patient avait montré un hypersignal de la substance blanche. L'isolement des Brucella à la culture est la technique de référence pour établir un diagnostic certain de brucellose [7]. L´isolement se fait habituellement à partir du sang, par hémoculture, ou plus rarement à partir d'autres prélèvements en fonction du contexte clinique. Les hémocultures sont souvent contributives à la phase aigüe de la maladie, moins à la phase subaiguë ou chronique. La technique de polymérase chaine réaction (PCR) est possible mais reste réservée à certains laboratoires. Elle est particulièrement utile en cas d'antibiothérapie ayant précédé les analyses. Les méthodes sérologiques sont nombreuses. La technique de séro-agglutination de Wright est la première technique sérologique décrite, et demeure la référence préconisée par l'Organisation Mondiale de la Santé du fait de sa standardisation. Les autres techniques sérologiques développées incluent notamment la technique d'agglutination sur lame ou épreuve de l'antigène tamponné, la réaction de fixation du complément, la technique d'immunofluorescence indirecte et les tests Elisa. Quelque soit le test sérologique, des réactions croisées sont observées avec des infections par Yersinia enterolitica, Vibriocholerae et Francisella tularensis [7-9].

Le traitement de la neurobrucellose doit être précoce, basé sur des antibiotiques ayant une bonne diffusion à travers la barrière hémato-encéphalique et en intracellulaire. Les antibiotiques les plus actifs sont les aminosides (streptomycine et gentamicine), les tétracyclines, la rifampicine et les fluoroquinolones [7]. L'association d'au moins deux antibiotiques est la règle pendant une durée minimum de trois mois [5]. Les deux associations les plus utilisées sont : rifampicine/triméthoprime-sulfaméthoxazole ou rifampicine/doxycycline [9]. Le meilleur traitement de la brucellose est préventif par le contrôle et l´élimination de l'infection chez les animaux (surveillance sérologique, abattage des animaux infectés et vaccination des jeunes animaux) ainsi que la pasteurisation du lait. Il n'existe pas de vaccin à usage humain. La précocité du traitement est un facteur déterminant du pronostic. Le retard diagnostic et par conséquent thérapeutique était le principal facteur de l´évolution défavorable dans notre cas.

 

 

Conclusion Up    Down

La diversité clinique et les complications engendrées par la brucellose rendent son diagnostic clinique difficile. Dans les pays endémiques et chez les patients à risque, un tableau clinique associant des céphalées, trouble de l´humeur et une symptomatologie neurologique progressive doit faire évoquer en premier lieu une neurobrucellose. Étayer le diagnostic et démarrer le plus rapidement possible le traitement adéquat d´une neurobrucellose est le seul garant d´une évolution favorable.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Rédaction du manuscrit : Ahlem Trifi, Khaoula Ben Ismail, Cyrine Abdennebi. Révisions: Sami Abdellatif, Salah Ben Lakhal. Tous les auteurs ont participé à ce travail et ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figure Up    Down

Figure 1 : IRM cérébrale : coupe axiale séquence Flair montrant un hypersignal péri-ventriculaire (leuco-encéphalopathie)

 

 

Références Up    Down

  1. Guven T, Ugurlu K, Ergonul O, Kocagul A, Sebnem C, Gok E et al. Neurobrucellosis : clinical and diagnostic features. Clin Infect Dis. 2013;56(10):1407-1412. PubMed | Google Scholar

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