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Case report

Nécrose corticale laminaire associée à une encéphalopathie de Gayet-Wernicke révélée par un trouble de conscience profond chez un alcoolique

Nécrose corticale laminaire associée à une encéphalopathie de Gayet-Wernicke révélée par un trouble de conscience profond chez un alcoolique chronique

Laminar cortical necrosis associated with Gayet-Wernicke encephalopathy revealed by a deep consciousness disorder in a chronic alcoholic

Mourad Ababou1,&, Noureddine Kartite1, Ayoub Boubekri1, Hicham Bennani1, Abdelhafid Houba1, Nawfal Doghmi1, Hicham Bakkali1

 

1Département d'Anesthésie Réanimation, Hôpital Militaire d'Instructions Mohamed V, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat, Université Mohammed V Souissi, Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Mourad Ababou, Département d'Anesthésie Réanimation, Hôpital Militaire d'Instructions Mohamed V, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat, Université Mohammed V Souissi, Rabat, Maroc

 

 

Résumé

L´alcoolisme excessif expose au risque de survenue de différentes encéphalopathies. L´encéphalopathie de Gayet-Wernicke (EGW) et la sclérose laminaire de Morel (SLM) sont deux encéphalopathies rares et graves de l´alcoolique chronique. L´EGW est secondaire à un déficit en thiamine alors que la SLM correspond à une nécrose corticale diffuse en dehors de toute anoxie cérébrale. Nous rapportons une association entre ces deux pathologies rares chez un alcoolique chronique tout en essayant de comprendre les particularités de chacune.


Excessive alcoholism exposes to the risk of developing different encephalopathies. Gayet-Wernicke encephalopathy (GWE) and Morel's laminar sclerosis (MLS) are two rare and serious encephalopathies of chronic alcoholics. GWE is secondary to a thiamine deficiency while (MLS) corresponds to diffuse cortical necrosis without any cerebral anoxia. We report an association between these two rare pathologies in a chronic alcoholic while trying to understand the peculiarities of each.

Keywords: Gayet-Wernicke encephalopathy, Morel laminar sclerosis, thiamine, alcoholism

 

 

Introduction    Down

La sclérose laminaire de Morel est une complication rare de l´alcoolisme chronique souvent associée à la maladie de Marchifava-Bignamie. Une association avec une maladie de Gayet-Wernicke est encore rare.

 

 

Patient et observation Up    Down

Nous rapportons l´observation d´un patient âgé de 75 ans, éthylique chronique, gastrectomie suite à un cancer gastrique. Admis au service de réanimation pour trouble de conscience. L´interrogatoire trouvait une installation rapide d´un trouble de conscience avec notion de diplopie et ataxie dans les jours précédents. L´examen clinique trouvait un patient apyrétique stable sur plan hémodynamique et respiratoire, GCS 08/15 (Y3 V1 M4), une discrète réactivité motrice bilatérale à la nociception, et pas de paralysie faciale. La TDM cérébrale était normale. L´étude du LCR ainsi qu´un bilan biologique exhaustif , notamment dosage d´ammoniémie, n´ont pas montré d´anomalies. Un EEG montrait une souffrance cérébrale diffuse non spécifique. Une IRM encéphalique a objectivé un hypersignal diencephalo-mesencephalique bilatéral évoquant une encéphalopathie de Gayet- Wernicke (EGW) (Figure 1). Elle montre ainsi une nécrose corticale laminaire bilatérale (Figure 2,Figure 3). Le patient a été mis sous thiamine à dose journalière de 100mg/j dès son admission puis une dose de 900mg après les résultats d´IRM. L´évolution a été marquée par une amélioration légère de son trouble de conscience gardant toujours une amnésie antérograde et rétrograde. Le patient décéda 3 mois après le début des troubles neurologiques

 

 

Discussion Up    Down

L´alcoolisme excessif expose au risque de survenue de différentes encéphalopathies. Ce tropisme neurologique s´explique à la fois par la présence de carences vitaminiques liées à l´alcoolisme et par une toxicité spécifique de l´éthanol sur le système nerveux [1]. L´éthanol induit des modifications structurales aboutissant à la réduction de la substance blanche au niveau du cortex, du cervelet, du corps calleux ainsi qu´une dilatation ventriculaire et réduction de la masse cérébrale en comparaison à des sujets témoins [2]. L´éthanol entraine aussi des modifications fonctionnelles sur le système nerveux: modification de la fluidité membranaire, modification de l´activité de nombreux récepteurs, avec un effet essentiellement agoniste de l´acide gamma-aminobutyrique (GABA) et antagoniste N-méthyl-d-aspartate (NMDA) [3]. Il existe également des interactions avec les voies dopaminergiques et sérotoninergiques , cholinergiques et enképhalinergiques. L'encéphalopathie de Gayet-Wernicke (L´EGW) est encéphalopathie carentielle liée à un déficit en vitamine B1(thiamine) ; décrite pour la première fois en 1881 par Carl Wernicke chez un homme alcoolique et une femme présentant des vomissements incoercibles [4]. C´est une urgence médicale rare et grave essentiellement décrite chez les alcooliques et dans les situations de dénutrition sévère. Elle se présente cliniquement sous la forme d´une triade inconstante classique: paralysies oculomotrices, troubles de la conscience et ataxie. Depuis 1964, des tests mesurant l'activité de la thiamine pyrophosphate (forme active de la thiamine) ont été développés. Ils permettent l´identification des sujets en carence et qui sont à risque de développer une EGW [5].

 

L´IRM cérébrale reste un examen utile pour le diagnostic en raison d´une très forte spécificité (93 %), et ce malgré une faible sensibilité (53%). Les anomalies les plus typiques sont des hypersignaux en séquences T2, flair et de diffusion dans les régions paraventriculaires du thalamus (Figure 1), de l´hyptolamus, des corps mamillaires, de la région périacqueducale, du plancher du quatrième ventricule, de la partie médiane du cervelet [1]. Sur le plan anatomopathologique, l'EGW est caractérisée par des suffusions hémorragiques associées à une prolifération gliale et à une démyélinisation au niveau des structures entourant le troisième ventricule, les corps mamillaires et les noyaux oculomoteurs. La sclérose laminaire de Morel (SLM) est une encéphalopathie rare compliquant aussi l´éthylisme chronique, décrite par Morel en 1939. Elle se caractérise par une perte neuronale, une prolifération gliale et une spongiose, donnant une sclérose corticale diffuse prenant l´aspect d´une « bande macrogliale à disposition nettement laminaire occupant la 3eme couche [6]. Sur le plan clinique la SLM donne une démence avec crises de delirium tremens atypiques et séquelles mnésiques marquées. Elle entraine aussi une hypertonie des membres inférieurs, un tremblement, une dysarthrie, aboutissant au décès dans quelques mois [7]. Sur le plan radiologique, la SLM est suspectée devant un hypométabolisme cortical diffus sur la tomographie par émission de positons, ou des hypersignaux bilatéraux du cortex frontal (Figure 2,Figure 3) [6]. Plusieurs auteurs considéraient cette atteinte corticale comme étant la conséquence des lésions des fibres commissurales lors de la démyélinisation du corps calleux, et la SLM comme toujours secondaire à une maladie de Marchiafava-Bignami (MMB) [7], cette dernière correspond aussi à une encéphalopathie de l´alcoolique chronique et elle est caractérisée par une démyélinisation et une nécrose d´étendue variable du corps calleux. À l´opposé, des cas de littérature rapportaient des SLM sans MMB [6,8], ce qui montre une indépendance entre SLM et MMB et l´individualisation de la SLM comme une forme à part entière d´encéphalopathie de l´alcoolique chronique.

 

La particularité de notre observation réside dans une association rare entre une maladie de Gayet-Wernicke et une sclérose laminaire corticale bilatérale chez un buveur excessif d´alcool en absence de démyélinisation du corps calleux et d´encéphalopathie hépatique. L´IRM cérébrale de notre cas a montré en plus de l´hypersignal diencephalo-mesencephalique bilatéral caractéristique d´EGW, une nécrose corticale laminaire bilatérale en dehors de toute anoxie cérébrale. Chez notre malade, le diagnostic de L´EGW a été fait sur des critères clinique et radiologique. La carence en thiamine était favorisée aussi par la gastrectomie. Lorsqu´un diagnostic d´EGW est suspecté, un traitement curatif s´impose, les recommandations suggèrent pour la majorité une posologie de thiamine à 500 mg IV 3 fois/j pour une durée de 3 à 5 jours, suivie, s´il y a réponse au traitement initial, de 250 mg IV par jour pour un minimum de 3 à 5 jours supplémentaires [9]. Le pronostic des patients insuffisamment ou non traités est sombre. Seulement 16% des patients traités récupèrent, le taux de mortalité étant de 17 à 20%. Parmi les survivants, 84% développent un syndrome de Korsakoff [10]. La non amélioration complète de l´état neurologique de notre patient était en rapport avec un syndrome de Gayet-korsakoff vue le déficit important en thiamine, ainsi elle est secondaire à l´importance des lésions d´ischémie corticale.

 

 

Conclusion Up    Down

L´alcoolisme excessif expose au risque de survenue de différentes encéphalopathies graves pouvant nécessiter une hospitalisation en réanimation. Le diagnostic de ces encéphalopathies reste difficile et doit être précoce afin d´en améliorer le pronostic neurologique, voire vital. L´intérêt de notre cas clinique est de suggérer l´importance d´autres facteurs associés à l´alcoolisme dans l´apparition des différents encéphalopathies métaboliques chez l´alcoolique chronique, ainsi que la nécessité d´éliminer les autres encéphalopathies devant toute confusion chez un alcoolique et de ne pas se limiter au premier diagnostic trouvé.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont participé à l'élaboration et la mise en œuvre de ce travail. Ils déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1: imagerie par résonance magnétique cérébrale en coupes horizontale, séquences FLAIR: hypersignaux (flèches 1) périventriculaires et thalamiques

Figure 2: imagerie par résonance magnétique cérébrale en coupes horizontale, séquences FLAIR : hypersignal bilatéral de la substance blanche (SB) temporopariétale avec quelques plages sous corticales en hypersignal (flèches 2)

Figure 3: imagerie par résonance magnétique cérébrale en coupes frontale, séquences T2 : hypersignaux bilatéraux pariétale et frontal (flèches 3)

 

 

Références Up    Down

  1. Jacobs F, Raynard B. Encéphalopathie métabolique chez l´alcoolique chronique, comment s´ orienter. Réanimation. 2009;18(7):590-597. Google Scholar

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  3. Kumari, Meena, Maharaj K Ticku. Regulation of NMDA receptors by ethanol Progress in Drug research. Birkhäuser, Basel. 2000;54:152-89. PubMed | Google Scholar

  4. Wernicke, Carl. Lehrbuch der gehirnkrankheiten für aerzte und studirende. Fischer. 1881;2. Google Scholar

  5. Cook, Christopher CH, Phillip M Hallwood, Allan D Thomson. B vitamin deficiency and neuropsychiatric syndromes in alcohol misuse. Alcohol and Alcoholism. 1998:33(4):317-336. PubMed | Google Scholar

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  7. Delay J, Brion S, Escourolle R, Sanchez A. Relation between Marchiafava-Bignami degeneration of the corpus callosum and Morel's cortical laminar sclerosis (apropos of 5 anatomo-clinical case reports). L'Encephale. 1959;48:281-312. PubMed

  8. Naeije R, Franken L, Jacobovitz D, Flament-Durand J. Morel´s laminar sclerosis. European neurology. 1978;17(3):155-9. PubMed | Google Scholar

  9. Boulanger AS Paquette I, Létourneau G, Richard-Devantoy S. Thiamine et encéphalopathie de Gayet-Wernicke: quelles règles de prescription. L'Encéphale. 2017:43(3):259-267. Google Scholar

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