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Case report

La nécrolyse épidermique toxique secondaire à la prise d´allopurinol: à propos d´un cas

La nécrolyse épidermique toxique secondaire à la prise d´allopurinol: à propos d´un cas

Toxic epidermal necrolysis secondary to taking allopurinol: a case report

Nanzir Elh Sanoussi1,&, Touzani Soumaya1, Houari Nawfal1, Abderrahim El Bouazzaoui1, Boukatta Brahim1, Kanjaa Nabil1

 

1Service de Réanimation Polyvalente A4, CHU Hassan II, Université Sidi Mohammed Ben Abdellah, Fès, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Nanzir Elh Sanoussi Moutari, Service de Réanimation Polyvalente A4, CHU Hassan II, Université Sidi Mohammed Ben Abdellah, Fès, Maroc

 

 

Résumé

Le syndrome de Lyell est une maladie rare de survenue imprévisible, grave et potentiellement mortelle. Son diagnostic est avant tout clinique et confirmé par l´examen anatomo-pathologique et sans anomalies biologiques spécifiques. Plusieurs médicaments sont responsables dont l´allopurinol. La prise en charge thérapeutique nécessite une unité de soins intensifs, au mieux un service de réanimation de brûlés, elle est essentiellement symptomatique: analgésie, réanimation hydroélectrolytique, nutrition, pansements, prévention de l´infection, soutien psychologique et réinsertion sociale.


Lyell´s syndrome is a rare disease of unpredictable, serious and potentially fatal occurrence. Its diagnosis is above all clinical and confirmed by anatomopathological examination and without specific biological anomalies. Several drugs are responsible, including allopurinol. Therapeutic care requires an intensive care unit, at best a burn resuscitation service, it is essentially symptomatic: analgesia, hydro electrolytic resuscitation, nutrition, dressings, infection prevention, psychological support and social reintegration.

Key words: Lyell´s syndrome, toxiderma, allopurinol, intensive care, treatment

 

 

Introduction    Down

La nécrolyse épidermique toxique (NET) ou syndrome de Lyell (SL) est une toxidermie rare, de survenue imprévisible, grave et potentiellement mortelle [1]. C´est la forme la plus sévère de toxidermie, avec un taux de mortalité de 25% et chez les survivants 80% de séquelles, essentiellement oculaires, génitales, cutanées et bronchiques [2]. Il s´agit d´une nécrolyse épidermique complète atteignant au moins 30% de la surface cutanée, associée à des atteintes muqueuses érosives. Les molécules les plus souvent responsables sont: le triméthoprime, sulfaméthoxazole, l´allopurinol, les anticonvulsivants et les pénicillines [3]. La prise en charge thérapeutique nécessite une unité de soins intensifs, au mieux un service de réanimation de brûlés, elle est essentiellement symptomatique: analgésie, réanimation hydroélectrolytique, nutrition, pansements, prévention de l´infection [4]. Nous rapportons le cas d´un syndrome de Lyell secondaire à la prise orale de l´allopurinol.

 

 

Patient et observation Up    Down

Une femme de 56 ans, hypertendue connue sous ARA II, depuis plus de 3 ans, était adressée au Service des Urgences du CHU Hassan II de Fès pour « décollement cutané étendu ». À l´interrogatoire, la patiente avait initialement consulté pour des polyarthralgies d´où la réalisation d´un bilan biologique qui a mis en évidence une hyperuricémie, expliquant sa mise sous l´allopurinol pour suspicion d´une crise de goutte. Au 8e jour après le traitement, la patiente a présenté une asthénie, des courbatures et un érythème buccal, compliqués par la suite par l´apparition des éruptions cutanées prurigineuses diffuses, un décollement cutané, des troubles de déglutition avec hypersialorrée et une hyperthermie. La patiente a consulté donc au Service des Urgences du CHU Hassan II, puis a été hospitalisée au Service de Réanimation Polyvalente A4. L´examen à l´admission trouve une patiente altérée, tachycarde à 100 bat/min, polypnéique à 18 c/min et sature à 95% à l´air ambiant. La tension artérielle était à 150/80 mmHg et la température à 38,5°C. L´examen dermatologique montre un décollement cutané en linge mouillé sur une peau discrètement érythémateuse; le décollement occupait plus de 70% de la surface corporelle avec un signe de Nikolsky, associé à des érosions des muqueuses oculaire, buccale, génitale et anale (Figure 1, Figure 2, Figure 3).

 

Le bilan biologique a montré un syndrome inflammatoire avec une C-Reactive Protéine (CRP) à 150 mg/L et une procalcitoninémie normale. La glycémie était à 10 mmol/L, l´urée à 13 mmol/L et le taux de bicarbonate à 25 mmol/L. Un score de SCORTEN calculé à base des éléments de l´anamnèse, de l´examen clinique et des examens paracliniques était à 3 points, soit un risque de décès estimé à 35%. Une déclaration du cas au centrerégional de pharmaco-vigilance a été effectuée. Dans le cadre de la prise en charge infectieuse, deux séries d´hémocultures étaient réalisées revenant toutes positives l´une en faveur d´un staphylocoque aureus et l´autre d´un Enterobacter cloacae; l´examen cytobactériologique des urines (ECBU) revenant positif à pseudomonas aeruginosa, la patiente avait bénéficié d´une antibiothérapie adaptée. Après 35 jours d´hospitalisation, de soins de réanimation, de soins dermatologiques quotidiens à base de sulfadiazine argentique, de vaseline pommade, de soins oculaires et buccal, l´évolution était marquée par une bonne amélioration clinique et une parfaite cicatrisation et la patiente avait regagné sa famille (Figure 4, Figure 5, Figure 6, Figure 7).

 

 

Discussion Up    Down

L'allopurinol est un uricofreinateur: il empêche la formation d'acide urique. Il inhibe la xanthine-oxydase, qui est une enzyme catalysant la biosynthèse de l'acide urique: il diminue l'uricémie et l'uraturie. L'allopurinol est également un substrat pour la xanthine-oxydase qui le métabolise en oxypurinol, lui-même inhibiteur de cette enzyme. Il est responsable, en grande partie, de l'effet thérapeutique de l'allopurinol [5]. L´allopurinol est parmi les molécules les plus souvent impliquées dans le syndrome de Lyell. Son imputabilité chez notre patiente a été retenue du fait d´une chronologie évocatrice (délai compatible de 8 jours) et de l´absence totale d´autre médicament introduit dans les deux mois précédant la survenue des lésions.

Le syndrome de Lyell est une maladie rare. Son diagnostic est avant tout clinique et confirmé par l´examen anatomopathologique et sans anomalies biologiques spécifiques [6]. Cet examen anatomopathologique est indispensable pour prouver un diagnostic qui peut avoir un impact légal et/ou réglementaire important. L´incidence exceptionnelle de la maladie explique sa méconnaissance et souvent le retard du diagnostic [7]. Notre patiente remplissant les critères diagnostiques les plus utilisés et avec un score de SCORTEN à 3, le risque vital était à 35%. Une atteinte viscérale est souvent signe de gravité: érythème congestif, érosions et ulcérations de la muqueuse du tube digestif, voire une colite pseudomembraneuse; atteinte de la muqueuse respiratoire avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë associé ou non à une infection. L´évolution mortelle est souvent liée à une défaillance multi-viscérale (pulmonaire, cardiaque, hépatique, digestive). La prise en charge pluridisciplinaire rapide et adaptée permet souvent une rémission rapide des symptômes [6].

Lorsque le patient en échappe, les séquelles sont esthétiques, fonctionnels, psychologiques et sociales dont la gravité varie en fonction de la topographie et peuvent aboutir à un retentissement important sur la qualité de vie privée, professionnelle et sociale. Elles concernent environ la moitié des patients [6, 7]. Elles peuvent être cutanées (anomalies de pigmentation avec des dyschromies souvent dues à des surinfections), ophtalmologiques (xérophtalmie, algies, photophobie, kératite avec à terme une baisse de l´acuité visuelle), génitales (dyspareunies, synéchies, sécheresse, érosions persistantes), sensoriels (anomalies du goût, troubles de sudation, troubles des phanères) et psychologiques (phobie des médicaments).

Notre patiente se plaignait des dysphagies, douleurs oculaires et photophobie. Elle avait bénéficié d´un avis ophtalmologique qui a conclu à une sécheresse oculaire transitoire et a préconisé de la mettre sous larmes artificielles.

 

 

Conclusion Up    Down

Le syndrome de Lyell reste une pathologie rare mais grave, grevée d´une morbi-mortalité importante. Elle impose une prise en charge précoce des patients dans une unité de soins intensifs, au mieux dans un service de réanimation des brûlés, essentiellement symptomatique : analgésie, réanimation hydroélectrolytique, nutrition, pansements, prévention de l´infection, soutien psychologique et réinsertion sociale.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1: aspect caractéristique de décollement de l´épiderme nécrosé au niveau du dos à l´admission au service

Figure 2: aspect caractéristique de décollement de l´épiderme sur la face antérieure du tronc et des lésions des cuisses et des membres supérieurs à son admission au service

Figure 3: aspect caractéristique de décollement au niveau du visage et de la face antérieure du tronc

Figure 4: après 5 jours d´hospitalisation, on note un décollement total de l´épiderme nécrosé sur la face postérieure du tronc

Figure 5: cicatrisation au niveau de la face postérieure du tronc à J29 d´hospitalisation

Figure 6: cicatrisation au niveau de la face antérieure à J30 d´hospitalisation

Figure 7: cicatrisation au niveau du visage à J30 d´hospitalisation

 

 

Références Up    Down

  1. Roujeau JC, Guillaune JC, Fabre JP. Toxic epidermal necrolysis (Lyell syndrome), incidence and drug etiology in France, 1981-1985. Arch Dermatol. 1990;126:37-42.

  2. Cluzel C, Pralong P, Logerot S, Sabatier-Vincenta M, Tardieua M, Pinel N. Syndrome de Lyell à l´acide fusidique oral d´évolution fatale. Ann Dermatol Venereol. 2016;143(3):215-218.

  3. Bonnetblanc JM. Iatrogénie. Diagnostic et prévention: toxidermies médicamenteuses. Annales de dermatologie et de vénéréologie. 2012;139(11):A172-A178.

  4. Mokline A, Rahmani I, Garsallah L, Tlaili S, Hammouda R, Messadi AA. La nécrolyse épidermique toxique. Annals of Burns and Fire Disasters. 2016 Mar 31;S29(1):37-40. Google Scholar

  5. VIDAL. La base de données en ligne des prescripteurs libéraux. Consulté le 05 /09/2018

  6. Roujeau JC. Syndromes de Lyell et de Stevens Johnson. Encyclopédie Orphanet. Juin 2007. Consulté le 05 /09/2018

  7. Moullan M, Ahossi V, Zwetyenga N. Le syndrome de Stevens-Johnson-toxic epidermal necrolysis (SJSTEN) lié à un insecticide: second cas dans la littérature et implications potentielles. Rev Stomatol Chir Maxillofac Chir Orale. 2016 Jun;117(3):176-82. PubMed | Google Scholar