Home | Volume 5 | Article number 15

Case report

Localisation hépatique pseudotumorale d´un syndrome de larva migrans viscéral : un piège diagnostique

Localisation hépatique pseudotumorale d´un syndrome de larva migrans viscéral : un piège diagnostique

Pseudotumoral hepatic visceral larva migrans: a diagnostic trap

Abderrahim Elktaibi1,&, Benjamin Rivière1, Valérie Rigau1, Valérie Costes Martineau1

 

1Département d´Anatomie Pathologique, Hôpital Gui de Chauliac, CHU Montpellier, Montpellier, France

 

 

&Auteur correspondant
Abderrahim Elktaibi, Département d´Anatomie Pathologique, Hôpital Gui de Chauliac, CHU Montpellier, Montpellier, France

 

 

Résumé

Le syndrome de larva migrans ou toxocarose est une zoonose secondaire à l´infection de l´homme par toxocara canis et toxocara cati. Sa prévalence est élevée dans les pays industrialisés surtout dans les zones rurales. On distingue des formes asymptomatiques ou paucisymptomatiques, se révélant par la présence d´une éosinophilie et des formes viscérales disséminées ou syndrome de larva migrans viscéral se révélant par des aspects anatomo-radiologiques trompeurs. Nous rapportons deux cas de toxocarose hépatique initialement diagnostiqués comme des tumeurs primitive et métastatique du foie. La mise en évidence d´un granulome éosinophile a permis d´évoquer le diagnostic confirmé par une sérologie positive. Le traitement est médical basé sur les antiparasitaires et les anti-inflammatoires pour les atteintes sévères. Ces deux cas nous permettront de rappeler les caractéristiques cliniques, radiologiques, biologiques, anatomo-pathologiques et thérapeutiques disponibles dans la littérature.


Hepatic visceral larva migrans or toxocariasis is a zoonotic disease secondary to man’s infection due to toxocara canis and toxocara cati. Its prevalence is high in industrialized countries, especially in the rural areas. We can distinguish between asymptomatic or paucisymptomatic forms, revealed by the presence of eosinophilia and disseminated visceral forms or visceral larva migrans revealed by misleading anatomo-radiological features. We here report two cases of hepatic toxocariasis initially diagnosed as primitive and metastatic liver cancers. The detection of eosinophilic granuloma allowed to evoke the diagnosis, confirmed by positive serology. Medical treatment was based on pesticides and anti-inflammatory drugs in patients with severe involvement. This study highlights the clinical, radiological, biological, pathological and therapeutic features reported in the available literature.

Key words: Toxocariasis, hepatic pseudotumor, eosinophilia, eosinophilic granuloma

 

 

Introduction    Down

Le syndrome de larva migrans ou toxocarose correspond à l´ensemble des symptômes provoqués par la migration et la survie dans l´organisme de larves de nématodes en impasse parasitaire. On oppose le syndrome de larva migrans viscéral au syndrome de larva migrans cutané [1]. La toxocarose est une zoonose cosmopolite et systémique correspondant à l´infestation des humains par des larves d´Ascaridés appartenant au genre toxocara [2]. C´est une maladie parasitaire zoonotique due à la migration de la deuxième larve de toxocara canis (chez le chien) ou de toxocara catis (chez le chat) à travers les viscères d´êtres humains. La mauvaise hygiène, le contact avec les chiens et la géophagie augmente le risque de toxocarose ou maladie des bacs à sable [3]. D´autres nématodes d´animaux sauvages peuvent également déterminer des syndromes analogues (anisakiase par exemple) [1]. La symptomatologie clinique est variable et non spécifique. Les cas rapportés dans cet article montrent une localisation hépatique pseudotumorale véritable piège diagnostique avant la confirmation histologique.

 

 

Patient et observation Up    Down

Cas N°1

Femme de 50 ans présentant une altération de l'état général et des troubles du transit épisodiques depuis 9 mois. Dans ses antécédents, on note un syndrome dépressif, une poly-kystose rénale chez son frère. Le bilan biologique ne retrouve qu'une hyperéosinophilie isolée. Les examens endoscopiques et les marqueurs tumoraux sont normaux. L'imagerie par résonance magnétique (IRM) hépatique met en évidence 2 nodules hépatiques hypodenses au temps portal avec homogénéisation au temps tardif sur foie non dysmorphique, suspects de métastases (Figure 1), sans autre tumeur objectivée par le scanner thoraco-abdomino-pélvien, la mammographie et l'échographie thyroïdienne. Deux biopsies hépatiques sont réalisées. L´étude histologique met en évidence une réaction fibroblastique et inflammatoire à polynucléaires éosinophiles centrée par un granulome épithélioïde non gigantocellulaire avec nécrose éosinophile étendue (Figure 2) avec nombreux cristaux transparents sous forme d´aiguilles pointues. Ces cristaux sont colorés en rouge par le Ziehl et correspondent aux cristaux de Charcot et Leyden (Figure 3). Les colorations par le Periodic Acid Shiff (PAS) et le Grocott n´ont pas mis en évidence d'éléments pathologiques. Le diagnostic proposé est celui de granulome à polynucléaires éosinophiles sur Toxocarose dite "maladie des bacs à sable" ou Larva visceral migrans.

Cas N°2

Femme de 43 ans sans antécédents pathologiques notables, présentant une douleur de l´hypocondre droit depuis un mois. L'imagerie objective un nodule hépatique hypodense évoquant une tumeur primitive (carcinome hépatocellulaire ou autre). La tomographie par émission de positons (PET scan) ne montre pas d´autres lésions synchrones. Une biopsie hépatique est réalisée. L´analyse histologique montre un parenchyme hépatique largement remanié par une réaction inflammatoire polymorphe et nécrosante riche en polynucléaires éosinophiles. Elle renferme des cellules granulomateuses épithélioides et géantes se disposant en palissade autour de la nécrose centrale associée à des cristaux de Charcot et Leyden. Cet aspect est compatible avec une toxocarose hépatique pseudotumorale. Aucune indication chirurgicale n´a été retenue. La patiente est mise sous surveillance clinique et radiologique régulière.

 

 

Discussion Up    Down

La toxocarose, ou larva visceral migrans est une parasitose de la famille des helminthes et du groupe des nématodes, la plus commune des pays industrialisés [4]. Elle a été décrite pour la première fois en 1950 par Wilder, qui a identifié une larve de nématode d´une espèce inconnue au sein d´un granulome rétinien [5]. Elle est caractérisée par l´errance, dans l´organisme humain, de larves de toxocara canis ou de toxocara cati [6]. La contamination se fait par l'ingestion d'œufs embryonnés provenant des fèces des jeunes chiens (toxocara canis) ou des chats (toxocara cati). L'homme est un hôte accidentel. Les enfants sont les plus exposés, se contaminant en jouant dans les bacs à sable ou par contact avec des animaux domestiques ou des plantes contaminées. L´infestation peut également se faire par l'ingestion de légumes crus ou d'abats peu ou pas cuits [4]. Après ingestion d'œufs embryonnés, les larves pénètrent dans la paroi intestinale et sont transportées par la circulation vers une grande variété de tissus (foie, poumons, cerveau, cœur, muscles et yeux). Bien que les larves ne subissent aucun développement supplémentaire dans ces sites, elles peuvent provoquer des réactions locales sévères [7].

Dans les pays développés, entre 7% et 52% des chiens et 49% des chiots sont infestés par le parasite. En France, la prévalence chez les canidés adultes vivant en milieu urbain est d'environ 4,8% contre 14,2% pour ceux vivant en milieu rural [4]. Cliniquement, les formes majeures sont représentées par le syndrome de larva migrans viscéral, la toxocarose oculaire et la toxocarose neurologique [8]. Elles résultent des dommages causés par la migration des larves ainsi que par la réponse inflammatoire de l´hôte [7]. Les symptômes classiques comprennent selon la localisation une fièvre, une hépatomégalie. Une atteinte pulmonaire peut se manifester par une toux chronique, une dyspnée ou une pneumonie. L´atteinte neurologique est rare et peut être responsable de tableaux de démence, d'encéphalite, d'épilepsie, de méningite, des céphalées, convulsions ou des troubles de conscience [9]. L'atteinte oculaire comprend des uvéites à hypopion, des granulomes rétiniens postérieurs ou des pseudogliomes avec leucocorie. Les formes mineures dites occultes comprennent la toxocarose commune et «la covert toxocariasis» ou toxocarose cachée. Ce sont les formes les plus fréquentes. Les patients présentent une altération chronique de l'état général, associée à des manifestations bénignes comme l'atteinte cutanée et des douleurs abdominales non spécifiques [8]. Pour les atteintes hépatiques, l´imagerie médicale par la tomodensitométrie (TDM) et/ou l´IRM met en évidence des lésions peu spécifiques. Le scanner abdominal retrouve le plus souvent plusieurs nodules spontanément hypo denses, bien limités à bord anguleux ou trapézoïdes, non rehaussés ou faiblement rehaussés au temps portal avec homogénéisation périphérique puis complète au temps tardif. À l'IRM, les lésions sont hypoT1, hyperT2. L'injection de gadolinium sur les séquences T1 montre une homogénéisation en iso signal au temps artériel ou tardif des lésions. Les lésions sont variables en taille et mobiles dans le temps. Cependant, ces anomalies peuvent être persistantes et semblent être en rapport avec des lésions ischémiques secondaires à des vascularites [2].

Le plus souvent, ces investigations conduisent à réaliser une ponction biopsie hépatique. La lésion élémentaire est le granulome inflammatoire à polynucléaires éosinophiles. On observe des cellules épithélioïdes et multinucléés avec des foyers de nécrose non caséeuse au centre [10]. Au sein du matériel nécrotico-suppuré, on peut voir des cristaux de Charcot et Leyden en forme d'aiguilles pointues transparentes octaédriques qui correspondent à la dégradation des polynucléaires éosinophiles avec libération de leurs enzymes cytoplasmiques comme la lysophospholipase. Ils ne sont pas spécifiques des inflammations à éosinophiles d'origine parasitaire et peuvent être retrouvés dans d´autres situations cliniques. La mise en évidence du micro-organisme sur la biopsie est exceptionnelle [7]. Sur le plan biologique, l´hyperéosinophilie est très fréquente au cours de la toxocarose. On note de manière inconstante une hyperéosinophilie marquée retrouvée dans 20% à 70% des cas, un taux d´IgE élevé et une hypergammaglobulinémie. Il est classique de voir une augmentation de l'éosinophilie sanguine après le traitement due à la lyse des parasites [10]. Le diagnostic repose sur la positivité de l´Elisa qui constitue un test sérologique standard avec emploi d´antigènes d´excrétion-sécrétion (AgES) et la confirmation par Western-Blot [7]. Les anticorps anti-toxocara peuvent persister durant plusieurs années sans signification pathologique, ce qui explique un taux de séroprévalence élevé dans les pays industrialisés (jusqu´à 37% en zone rurale). Les techniques diagnostiques actuelles ne permettent pas de différencier infection en cours et cicatrice sérologique [6]. Le diagnostic différentiel radiologique est souvent trompeur. Il peut faire discuter des métastases hépatiques devant les localisations multiples plus ou moins confluentes ou une tumeur primitive en cas de lésion unique. D´autres lésions inflammatoires comme une tuberculose ou une sarcoïdose peuvent être évoquées; mais le contexte clinique et biologique permet souvent de redresser le diagnostic. En microscopie, les granulomes intra hépatiques à éosinophiles peuvent avoir des origines multiples et diverses. La maladie de Hodgkin où les polynucléaires éosinophiles sont accompagnés de cellules de Sternberg, de Hodgkin, de plasmocytes et de lymphocytes. L´histiocytose langerhansienne avec un infiltrat riche en polynucléaires éosinophiles, en histiocytes et cellules multinucléées. La vascularite d'hypersensibilité (syndrome de Churg et Straus) mais l´atteinte vasculaire est au premier plan et la localisation hépatique est rare. D´autres micro-organismes comme Bayliascaris procyonis avec l'ascaris du raton laveur qui donne un tableau clinico biologique et radiologique comparable à la toxocarose. Le traitement actuel ne fait pas consensus.

Dans tous les cas il faut associer les mesures prophylactiques et thérapeutiques. Schématiquement, le traitement curatif repose sur des antiparasitaires benzimidazoles (albendazole ou mébendazole) et anti inflammatoires. Le bénéfice des traitements antiparasitaires reste peu clair. Les agents anti-inflammatoires permettent de contrôler une réaction inflammatoire intense. Un traitement antiparasitaire peut être considéré pour les patients présentant des complications liées à une atteinte d´organe. La forme asymptomatique, caractérisée par une sérologie positive et une éosinophilie, ne requiert pas de traitement spécifique [7]. Des mesures prophylactiques visant à l´éradication des facteurs de risques personnels doivent être mises en route. Les mesures préventives individuelles consistent à l´amélioration de l´hygiène alimentaire (se laver les mains, éviter les salades sauvages, bien cuire les abats de veau et d´agneau) et la protection des potagers. Les mesures collectives consistent à interdire les chats et chiens dans les aires de jeux et au renouvellement du sable annuel des bacs à sable. Les chats et les chiens doivent être vermifugés.

 

 

Conclusion Up    Down

La toxocarose est une zoonose sous-estimée qui doit être évoquée devant un tableau clinique polymorphe associé à une hyperéosinophilie sanguine chez les sujets à risque (en contact avec les animaux). Le diagnostic s´appuie sur un granulome éosinophile nécrosant et une sérologie positive. L´aspect radiologique est souvent trompeur, pseudotumoral et simule une néoplasie primitive ou métastatique du foie. Les cas rapportés dans ce travail illustrent ces deux aspects radio-cliniques. Un traitement curatif adéquat associé à des mesures préventives strictes est nécessaires pour éradiquer cette zoonose cosmopolite.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont contribué à ce travail. Ils ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1 : imagerie par résonnance magnétique objectivant des nodules hépatiques d´aspect pseudotumoral

Figure 2 : A) microphotographie au faible grossissement montrant un granulome inflammatoire palissadique centré par une nécrose éosinophile extensive (hématéine-éosine x 10) ; B) granulome inflammatoire riche en polynucléaires éosinophiles (hématéine-éosine x 40)

Figure 3 : A) cristaux de Charcot-Leyden sous forme d´aiguilles pointues, bien visibles sur la coloration de Ziehl (B)

 

 

Références Up    Down

  1. Syndrome de Larva migrans. Association Française des Enseignants de Parasitologie et Mycologie (ANOFEL). 2014. 1c UMVF - Université Médicale Virtuelle Francophone. Pages: 1-9.

  2. Maiga Y, Wiertlewski S, Desal H, Marjolet M, Damier P. Toxocarose cérébrale révélée par une confusion mentale chez un adulte à Nantes: cas clinique et revue de la littérature. Bull Soc Pathol Exot. 2007;100(2):101-104. PubMed

  3. Kaur J, Gupta A, Wadhwa N. Hepatic visceral larva migrans causing hepatic venous thrombosis and prolonged fever. Indian Pediatr. 2017;54(10):882-884. PubMed | Google Scholar

  4. Magnaval JF, Glickman LT, Dorchies PH. La toxocarose, une zoonose helminthique majeure. Rev Med Vet. 1994; 145:611-627.

  5. Wilder HC. Nematode endophthalmitis. Trans Am Acad Ophthalmol Otolaryngol. 1950;55:99-109. PubMed

  6. Bernardeschi C, Monsel G, Bricaire F, Paris L, Mazier D, Caumes E. Exanthème fébrile révélant une toxocarose. Febrile exanthema revealing toxocariasis. La Lettre de l´Infectiologue. Tome XXIV - n°3 - 2009;114-115.

  7. Dureault A, Valdes CP, Weber L, Ogna A, Sempoux C, Oriol M, Delaloye J. Toxocarose : une maladie négligée en Suisse? Rev Med Suisse. 2017 Apr 12;13(558):815-819. Google Scholar

  8. Magnaval JF, Glickman LT. Toxocarose: actualités diagnostiques et thérapeutiques. La lettre de l'infectiologue-Tome XXI-n°2 (2006).

  9. Altcheh J, Nallar M, Conca M, Biancardi M, Freilij H. Toxocariasis: clinical and laboratory features in 54 patients. Ann Pediatr (Barc). 2003 May;58(5):425-31. PubMed | Google Scholar

  10. Kayes SG. Human toxocariasis and the visceral larva migrans syndrome: correlative immunopathology. Chem Immunol. 1997; 66:99-124. PubMed | Google Scholar