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Case report

Pneumopathie interstitielle diffuse due au docetaxel : à propos de 4 cas

Pneumopathie interstitielle diffuse due au docetaxel : à propos de 4 cas

Diffuse docetaxel-induced interstitial lung disease: about 4 cases

Imane Ait Kaikai1,&, Meriem Belhouari1, Mouna Bourhafour1, Zineb Bouchbika1, Nadia Benchakroune1, Hassan Jouhadi1, Nezha Tawfiq1, Souha Sahraoui1, Abdellatif Benider1

 

1Centre Mohamed VI pour le Traitement des Cancers, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Imane Ait Kaikai, Centre Mohamed VI pour le Traitement des Cancers, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc

 

 

Résumé

Le docetaxel est utilisé dans le traitement de plusieurs tumeurs solides que ce soit au stade localisé ou métastatique. Il génère des toxicités au niveau des différents systèmes : digestif, hématopoïétique, cutanéo-muqueux, neurologique et immunitaire. La pneumopathie interstitielle diffuse constitue une toxicité rare et dont le pronostic peut être redoutable. Nous rapportons quatre cas de patientes traitées pour un cancer du sein en situation adjuvante ou néo-adjuvante, ayant présenté, après une chimiothérapie par docetaxel, une détresse respiratoire aigüe et chez lesquelles le diagnostic d´une pneumopathie interstitielle secondaire au docetaxel a été posé après avoir éliminé d´autres diagnostics notamment une progression métastatique, une infection respiratoire ou une atteinte cardiaque. Toutes les patientes ont été traitées par corticothérapie avec amélioration partielle et le docetaxel a été arrêté définitivement. Quoique rare, la pneumopathie interstitielle diffuse due au docetaxel doit être soulevée chez tout patient présentant un tableau respiratoire aigu à la suite de l´administration du docetaxel après avoir éliminé les diagnostics différentiels.


Docetaxel is used for the treatment of several localized or metastatic solid tumors. It causes toxic effects on several systems: digestive, hematopoietic, mucocutaneous, neurological and immune systems. Diffuse interstitial lung disease is a rare and potentially life-threatening type of toxicity. We report four cases of female patients with breast cancer on adjuvant or neoadjuvant chemotherapy. After chemotherapy with docetaxel, they had acute respiratory distress. The diagnosis of docetaxel-induced interstitial lung disease was made after exclusion of other diagnoses, including metastatic progression, respiratory infection or cardiac disease. All patients underwent corticosteroid therapy with partial improvement. Docetaxel was discontinued permanently. Diffuse docetaxel-induced interstitial lung disease, although rare, should be suspected in any patient with acute respiratory distress following docetaxel treatment, after elimination of differential diagnoses.

Key words: Interstitial lung disease, docetaxel, case report

 

 

Introduction    Down

Le docetaxel est une molécule appartenant à la famille des taxanes, qui est utilisée dans le traitement de plusieurs cancers solides localisés et métastatiques: le cancer du sein, le cancer du poumon non à petites cellules, les cancers otorhinolaryngologiques (ORL), le cancer gastrique et le cancer de la prostate. Il est responsable de toxicités qui sont assez fréquentes: digestives, hématopoïétiques, cutanéo-muqueuses, neurologiques et immunologiques. Cependant, la pneumopathie interstitielle due au docetaxel reste une toxicité rare, pouvant être mortelle et qui a constitué juste le sujet de quelques rapports de cas dans la littérature [1]. Nous décrivons le cas de quatre patientes suivies au centre Mohamed VI de Casablanca pour le traitement des cancers, ayant présenté une pneumopathie interstitielle diffuse secondaire au docetaxel en situation adjuvante ou néo-adjuvante du traitement d´un cancer du sein.

 

 

Patient et observation Up    Down

Observation 1

Information de la patiente : une femme âgée de 45 ans, ayant dans les antécédents un asthme sous traitement de fond, qui présente un carcinome canalaire infiltrant du sein droit localement avancé classé T4N1M0. Le scanner thoracique initial était normal (Figure 1). La patiente a été mise sous chimiothérapie néo-adjuvante séquentielle. Elle a reçu quatre cures d´anthracyclines (Adriamycine 60 mg/m2 et cyclophosphamide 600 mg/m2) et quatre cures de docetaxel (100 mg/m2).

Résultats cliniques : à J15 de la 4e cure de docetaxel, la patiente présente une dyspnée stade IV de NYHA sans douleur thoracique ni fièvre.

Démarche diagnostique : une tomodensitométrie (TDM) thoracique a été réalisée en premier lieu objectivant un syndrome interstitiel bilatéral et diffus (Figure 1) sans signes d´embolie pulmonaire ni épanchement pleural. À la fibroscopie broncho-pulmonaire : aucune anomalie n´a été notée. La biopsie réalisée ne montrait pas de cellules atypiques ni signes de malignité. Sur le bilan biologique, il n´y avait pas d´hyperleucocytose ni élévation de la protéine C-réactive (CRP). L´échographie cardiaque et l´évaluation cardio-vasculaire étaient normales. Au terme de ce bilan, une pneumopathie interstitielle diffuse due au docetaxel a été retenue.

Intervention thérapeutique et suivi : la patiente a été mise sous corticothérapie à raison de 60 mg/j avec une amélioration partielle (Figure 1) au bout de 10 jours. La décision était de ne plus réadministrer les taxanes en cas d´une éventuelle récidive.

Observation 2

Information de la patiente : une femme âgée de 46 ans, sans comorbidités notables, ayant un carcinome canalaire infiltrant du sein droit traité par une chirurgie conservatrice et classé pT2N1M0. La décision était de mettre la patiente sous chimiothérapie séquentielle en adjuvant.

Résultats cliniques : la patiente a reçu 3 cures d´AC 60 avec une bonne tolérance. Dix jours après la première cure de docetaxel (100 mg/m2), elle se présente aux urgences dans un tableau de dyspnée stade IV et dans un contexte d´apyrexie.

Démarche diagnostique : une TDM thoracique a été réalisée objectivant le même aspect radiologique que le premier cas. L´évaluation cardio-vasculaire ne retrouvait pas d´anomalie. Le bilan biologique a objectivé une légère ascension de la CRP. La bronchoscopie et la biopsie ont révélé des remaniements inflammatoires sans signes de malignité. L´étude anatomopathologique a conclu à une fibrose pulmonaire. Le diagnostic d´une pneumopathie interstitielle diffuse secondaire au docetaxel a été posé après discussion du cas de la patiente en réunion de concertation multidisciplinaire.

Intervention thérapeutique et suivi : la patiente a été mise sous une corticothérapie à raison de 120 mg/j et une antibiothérapie de type association amoxicilline/acide clavulanique pendant un mois sans amélioration ni clinique ni radiologique (Figure 2). La chimiothérapie a été arrêtée définitivement.

Observation 3

Information de la patiente : une femme âgée de 54 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, suivie pour un carcinome canalaire infiltrant du sein gauche classé pT3N1M0. Elle a été mise sous chimiothérapie séquentielle en adjuvant.

Résultats cliniques : à J10 de la 3e cure de docetaxel (100 mg/m2), elle a présenté une dyspnée au repos avec une toux productive. La patiente était apyrétique.

Démarche diagnostique : la TDM thoracique a montré un syndrome interstitiel bilatéral. L´échographie cardiaque était normale. Tous les paramètres biologiques étaient normaux. La bronchoscopie avec biopsie n´a pas révélé d´anomalies. Au bout de ce bilan négatif, on a rattaché la symptomatologie de la patiente à une pneumopathie interstitielle diffuse secondaire au docetaxel.

Intervention thérapeutique et suivi : la patiente a été mise sous corticothérapie 60 mg/j avec disparition complète de la symptomatologie au bout de deux semaines. Le docetaxel ne sera plus administré chez cette patiente en cas de rechute nécessitant une chimiothérapie.

Observation 4

Information de la patiente : une femme de 50 ans, sans antécédents notables et qui présente un carcinome canalaire infiltrant du sein gauche classé T3N1M0. Elle a été mise sous chimiothérapie séquentielle. Avant chaque cure de docetaxel, la patiente recevait une prémédication par corticoïdes et antihistaminiques, débutée la veille de la cure de façon systématique.

Résultats cliniques : dix jours après la dernière cure de docetaxel (100 mg/m2), la patiente a développé une détresse respiratoire aiguë dans un contexte d´apyrexie.

Démarche diagnostique : le scanner a objectivé un aspect similaire de pneumopathie interstitielle d´origine médicamenteuse. Les bilans cardiaque, biologique et endoscopique étaient normaux.

Intervention thérapeutique et suivi : la patiente a reçu une corticothérapie à raison de 60 mg/j avec une amélioration partielle. Le docetaxel a été arrêté d´une façon définitive.

 

 

Discussion Up    Down
Les pneumopathies interstitielles diffuses dues au docetaxel représentent un taux de 1,7% selon une série indienne de 477 patients ayant reçu le docetaxel pour un cancer du sein en situation néo-adjuvante, adjuvante ou palliative [2]. Il atteint 4,6% dans une autre série de 392 cas publiée par Tamiya et al. [3] ; ce taux peu élevé peut être expliqué par la préexistence de lésions pulmonaires chez les patients inclus dans cette étude. Leur mécanisme n´est pas complètement élucidé et est expliqué par plusieurs hypothèses dont la prolifération des lymphocytes T cytotoxiques qui est responsable d´une réaction d´hypersensibilité entraînant des lésions au niveau du parenchyme pulmonaire. Cette dernière semble liée à la présence du polysorbate 80, une molécule fortement immunogène, dans la formulation du docetaxel [4]. La deuxième hypothèse pouvant éclaircir également ce mécanisme est l´atteinte pulmonaire directe par la formation de métabolites réactifs de l´oxygène. Néanmoins, la présence de cellules immunitaires lors de l´analyse anatomopathologique de la biopsie pulmonaire d´une pneumopathie interstitielle due au docetaxel renforce le mécanisme immuno-allergique et rend ce dernier le plus retenu.

La pneumopathie interstitielle diffuse due au docetaxel survient dans la majorité des cas après deux cycles de traitement à la dose conventionnelle (tous les 21 jours) [5]. Cependant, elle peut apparaître même après un jusqu´à six cycles de traitement [6] et avec des doses moindres que la dose standard [7] ; ce qui suppose donc que la dose cumulée, la durée et la réponse au traitement ne sont pas incriminées dans l´émergence de cette toxicité [8]. La symptomatologie clinique de la pneumopathie interstitielle diffuse débute entre le 10e et le 20e jour [7], ce qui a été le cas de la majorité de nos patientes. Le tableau clinique est représentatif de celui d´une pneumonie : dyspnée importante, toux, fièvre et parfois une hypoxie sévère. La dyspnée aigüe était le symptôme révélateur chez la majorité de nos patientes.

La pneumopathie interstitielle diffuse constitue un diagnostic d´élimination et ne doit être soulevée qu´après avoir écarté d´autres diagnostics compatibles notamment l´origine infectieuse, métastatique et cardiaque chez des patients immunodéprimés, à risque d´extension de la maladie et parfois pré-exposés à des médicaments cardiotoxiques, tels que les patients cancéreux. D´où la nécessité de compléter par des examens radiologiques (TDM thoracique, échographie cardiaque), endoscopiques (bronchoscopie avec biopsie et éventuellement un lavage broncho-alvéolaire) et biologiques (hyperleucocytose, CRP et procalcitonine élévées orientant vers une infection). Dans nos observations, ces différents diagnostics ont été éliminés avant de retenir une pneumopathie interstitielle diffuse et l´aspect radiologique était souvent évocateur. On résume le diagnostic d´une pneumopathie interstitielle due au docetaxel en quatre critères [8] : l´antécédent d´administration du docetaxel vu son association connue avec la pneumopathie même si elle est rare, la présence d´un tableau clinique et d´une imagerie compatible avec la pneumopathie induite par le docetaxel, l´exclusion d´autres pathologies pulmonaires et l´amélioration clinique significative suite à l´arrêt du médicament et à l´initiation des stéroïdes.

La prise en charge thérapeutique des pneumopathies interstitielles dues au docetaxel n´est pas standardisée. Elle comprend essentiellement une corticothérapie après avoir exclu une infection évolutive. La dose de corticothérapie utilisée est de 40-60 mg/j pendant 2 à 3 semaines. De fortes doses de corticothérapie arrivant jusqu´à 240 mg/j sont prescrites chez les patients ayant une insuffisance respiratoire avec une décroissance lente et prudente [7]. Certains cas de détresse respiratoire sévère nécessiteront une ventilation mécanique. L´administration du docetaxel doit être arrêtée de façon définitive et l´utilisation d´une molécule de la même classe thérapeutique telle que le paclitaxel n´est pas recommandée. La mortalité secondaire à la pneumopathie interstitielle diffuse due au docetaxel est élevée, atteignant un taux de 42% [9] et augmentant à 81,8% en cas de recours à une intubation selon une série de 31 cas [10] ; d´où la nécessité de poser rapidement le diagnostic de pneumopathie interstitielle et d´agir en urgence. Certaines mesures peuvent réduire l´incidence de cette toxicité rare dont la prémédication par une corticothérapie à haute dose, à commencer trois jours avant l´initiation du docetaxel et l´administration de corticoïdes en concomitance avec le docetaxel [6].

 

 

Conclusion Up    Down

La pneumopathie interstitielle diffuse due au docetaxel est une toxicité rare. Son traitement repose essentiellement sur une corticothérapie à fortes doses et l´arrêt du docetaxel. Toutefois, son pronostic reste péjoratif notamment chez les patients nécessitant une ventilation mécanique. La prémédication par une corticothérapie avant le début d´une chimiothérapie par docetaxel semble diminuer l´incidence de ce type de toxicité.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Imane Ait Kaikai a rédigé l´article. Imane Ait Kaikai et Meriem Belhouari ont assuré l´exploitation des dossiers. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version définitive de l´article.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1 : A) TDM thoracique initiale avant l´initiation de la chimiothérapie ; B) syndrome interstitiel bilatéral survenant après docetaxel ; C) TDM de contrôle après corticothérapie

Figure 2 : A) TDM thoracique initiale avant l´initiation de la chimiothérapie ; B) syndrome interstitiel bilatéral et diffus avec fibrose pulmonaire

 

 

Références Up    Down

  1. Nagata S, Ueda N, Yoshida Y, Matsuda H, Maehara Y. Severe interstitial pneumonitis associated with the administration of taxanes. J Infect Chemother. 2010; 16(5):3404. PubMed | Google Scholar

  2. Manuprasad A, Ganesan P, Mahajan V, Ganesan TS, Radhakrishnan V, Dhanushkodi M, Sagar TG. Docetaxel-induced lung injury: An under-recognized complication of a commonly used chemotherapeutic agent. Indian J Med Paediatr Oncol. 2019; 40(02): 208-211. Google Scholar

  3. Tamiya A, Naito T, Miura S, Morii S, Tsuya A, Nakamura Y et al. Interstitial lung disease associated with docetaxel in patients with advanced non- small cell lung cancer. Anticancer Res. 2012 Mar;32(3):1103-6. PubMed | Google Scholar

  4. Engels FK, Mathot RA, Verweij J. Alternative drug formulations of docetaxel: a review. Anticancer drugs. 2007;18(2):95-103. PubMed | Google Scholar

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  6. Remya A, Shiva K, Jini J, Akhilesh K, Meenu V. Case report on docetaxel induced interstitial lung disease. Asian Journal OF Pharmaceutical AndClinican Research. 2017;10(10):10-12. PubMed | Google Scholar

  7. Wang CJ, Chang HT, Chang CY. Docetaxel related interstitial pneumonitis. The Clin Risk Manag. 2015;11:1813-6. PubMed | Google Scholar

  8. Mei-Kim Ang, Darren Wan Teck Lim, Eng Huat Tan, Quan Sing Ng, Daniel Shao Weng Tan. Life-threatening pneumonitis related to docetaxel chemotherapy. Proceedings of Singapore Healthcare. 2015;24(1):54-58. Google Scholar

  9. Read WL, Mortimer JE, Picus J. Severe interstitial pneumonitis associated with docetaxel administration. Cancer. 94(3):847-53. PubMed | Google Scholar

  10. Nagata S, Ueda N, Yoshida Y, Matsuda H, Maehara Y. Severe interstitial pneumonitis associated with the administration of taxanes. J Infect Chemother. 2010 Oct;16(5):340-4. PubMed | Google Scholar