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Case report

Tuberculose pancréatique, une forme fortement simulatrice de malignité

Tuberculose pancréatique: une forme fortement simulatrice de malignité

Pancreatic tuberculosis as a highly cancer simulator

Mohamed Anajjar1,&, Mohamed Essarghini1, Faisal El Mouhafid1, Yasser El Brahmi1, Mbarek Yakka1, Mohammed Elfahssi1, Abderrahman Elhjouji1, Abdelkader Ihirchiou1, Aziz Zentar1, Abdelmounaim Ait Ali1

 

1Service de Chirurgie Viscérale II, Hôpital Militaire Mohammed V, Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Mohamed Anajjar, Service de Chirurgie Viscérale II, Hôpital Militaire Mohammed V, Rabat, Maroc

 

 

Résumé

La tuberculose pancréatique est une entité rare. Ses caractéristiques cliniques et radiologiques peuvent imiter celles d´une néoplasie pancréatique, ce qui en fait un diagnostic clinique difficile. Notre observation illustre bien les problèmes de caractérisation d´une masse profonde par l´imagerie. L´aspect de cette masse a fait évoquer, en premier lieu, une origine tumorale, et allait imposer à cette jeune patiente une intervention lourde avec une morbidité non négligeable, heureusement que le diagnostic est rectifié en peropératoire. Certes la tuberculose pancréatique est exceptionnelle mais curable et tout doit être mis en œuvre pour permettre un diagnostic précoce afin d'éviter des interventions lourdes et inutiles.


Pancreatic tuberculosis is a rare entity. Its clinical and radiological features can mimic those of pancreatic neoplasm, making clinical diagnosis difficult. Our study highlights difficulties in diagnosis of a deep mass on imaging. The appearance of this mass initially evoked a tumor. Our female patient underwent major surgery with significant morbidity risk. Fortunately, the diagnosis was rectified during surgery. Pancreatic tuberculosis is exceptional but curable. However, early diagnosis is essential to avoid heavy and unnecessary surgery.

Key words: Pancreas, tuberculosis, tumor

 

 

Introduction    Down

La tuberculose pancréatique est une entité rare mais importante à prendre en compte lors de l´évaluation d´une masse pancréatique, en particulier chez les patients issus des zones d´endémie. Ses caractéristiques cliniques et radiologiques peuvent imiter celles d´une néoplasie pancréatique, ce qui en fait un diagnostic clinique difficile. Nous présentons le cas d´une jeune fille de 22 ans atteinte de forme pseudotumorale de la tuberculose pancréatique et à travers cette observation nous discuterons des difficultés diagnostiques de cette pathologie.

 

 

Patient et observation Up    Down

Patiente de 22 ans, sans antécédents qui présente depuis 3 ans des épigastralgies à irradiation postérieure sans notion de trouble de transit ni d'hémorragie digestive, le tout évoluant dans un contexte d´altération de l'état général avec amaigrissement de 6 kg en 3 mois. Sur le plan clinique les conjonctives sont légèrement décolorées, la patiente est apyrétique et eupnéique. L'examen abdominal trouve une sensibilité épigastrique. Sans masse palpable, les aires ganglionnaires étaient libres et le toucher rectal ne montrait pas d´anomalies. Le bilan biologique n´a pas révélé d´anomalies en dehors d´une élévation des marqueurs d´inflammation avec une protéine C-réactive (CRP) à 80 mg/l, leucocytes à 12000, lipase à 60 UI/L sans cytolyse ni cholestase. L´exploration première par fibroscopie œsogastroduodénale n´a pas objectivé d´anomalies.

 

L´exploration morphologique par scanner abdominal trouve une lésion hypodense isthmique et caudale du pancréas mesurant 6,5 cm x 3,8 cm (Figure 1), avec adénopathie péri-pancréatique de 2,6 cm, coelio-mésenterique et retro-péritonéales (Figure 2) partiellement nécrosées évoquant en premier un cystadénome séreux ou lésion tumorale maligne. L´Imagerie par résonnance magnétique (IRM) caractérise cette lésion liquidienne nécrosée, multi-cloisonnée avec une bande centrale probablement de fibrose au niveau de la partie postérieure isthmique et caudale du pancréas mesure 6,3 cm x 3,3 cm (Figure 3), et s'étend à l'arrière cavité des épiploons, au contact avec la paroi gastrique, s'accompagnant avec multiples adénopathies partiellement nécrosées, péri-pancréatiques et retropéritonéale de 2,6 cm x 1,5 cm. Cet aspect est compatible avec une tumeur kystique du pancréas ou ganglioneurome.

 

L´écho-endoscopie vient étayer le diagnostic de tumeur kystique en montrant une zone hétérogène mixte, tissulaire et liquidienne de 6,7 mm x 35 mm, caudale, ne communiquant pas avec le canal de Wirsung évoquant une tumeur pseudo-papillaire et solide du pancréas. Vu la taille de la tumeur et le retentissement clinique la décision était d´opérer la malade en prévoyant une splénectomie distale avec conservation de la rate lors de la laparotomie. Après exposition du pancréas, en plus de la lésion kystique caudale, on découvre une hypertrophie du pancréas avec des lésions blanchâtres nodulaires disséminées sur toute la surface du pancréas, leurs aspects étaient évocateurs de tuberculose, alors on décide de faire des biopsies pour examen extemporané, ce qui confirme le diagnostic et annule la résection. Une chimiothérapie antituberculeuse est entamée en post-opératoire avec une amélioration spectaculaire avec reprise du poids et disparition de la douleur.

 

 

Discussion Up    Down

La tuberculose pancréatique est une pathologie très rare, même dans les pays d´endémie avec moins de 5% des cas, comme le montre les séries d´autopsies [1]. Le premier rapport de la tuberculose pancréatique a été signalé par Auerbach en 1944. Dans sa série de 1656 d´autopsies de malades tuberculeux, 14 cas seulement avaient une atteinte pancréatique, soit une incidence de 4,7% [1]. C´est une entité exceptionnelle, même au cours des miliaires tuberculeuses. Cette résistance pancréatique à l´infection tuberculeuse peut avoir deux explications possibles. La première explication peut être anatomique, où le pancréas par sa situation rétropéritonéale semble être protégé contre une exposition environnementale directe. Et l´autre explication peut être biochimique, grâce probablement à l´effet anti-bacillaire des sécrétions et des enzymes pancréatiques, particulièrement la lipase. Cette résistance pancréatique naturelle nécessite donc une insémination massive par les germes, souvent assurée par contiguïté à partir d´une atteinte ganglionnaire péri-pancréatique, rarement par dissémination hématogène à partir d´un foyer occulte (le plus souvent pulmonaire) ou à partir d´un foyer latent réactivé à la suite d´une immunodépression, donnant alors le tableau d´une miliaire tuberculeuse avec atteinte multiviscérale [2].

 

Les manifestations cliniques peuvent être des douleurs abdominales chroniques, une masse pancréatique faisant penser à un cancer exocrine ou endocrine, un ictère rétentionnel, une hémorragie digestive, une pancréatite chronique ou aiguë, ou un abcès pancréatique [3]. Les signes d´imprégnation tuberculeuse peuvent être absents, cette symptomatologie est tellement variée que le diagnostic de tuberculose pancréatique n´est généralement pas suspecté avant la laparotomie en l´absence d´un foyer infectieux connu. Ainsi, la tuberculose pancréatique peut être prise à tort pour un cancer pancréatique, un lymphome ou des métastases ganglionnaires rétropéritonéales [3]. La sanction peut être grave car une résection pancréatique majeure peut être réalisée. L´imagerie de choix est le scanner [4] : il permet une bonne visualisation du syndrome tumoral, mais ne permet pas le diagnostic de certitude. Il visualise le plus souvent une masse hypodense non spécifique et sans caractère pathognomonique. En revanche, le diagnostic devrait être fortement suspecté devant un aspect de masse hypodense entourée par une capsule épaisse et hyperdense associée à des adénopathies rehaussées en cocarde, surtout en pays d´endémie tuberculeuse [4].

 

Le diagnostic de certitude de tuberculose est habituellement établi sur des prélèvements histologiques. Sur les biopsies percutanées ou par laparotomie, tel le cas de notre patiente, un granulome épithélio-giganto-cellulaire est mis en évidence dans plus de 60% des cas avec présence parfois de nécroses caséeuses [5]. La ponction à l´aiguille fine radioguidée percutanée ou sous écho-endoscopie peut être contributive au diagnostic, faisant éviter parfois une laparotomie inutile pour une affection dont le traitement est avant tout assuré par les antibiotiques [2]. C´est une modalité diagnostic pertinente devant une masse du pancréas chez le sujet jeune en zone d´endémie ou chez le sujet immunodéprimé chez qui l´étiologie tuberculeuse devrait être envisagée de principe [6]. Le diagnostic différentiel de la tuberculose pancréatique comprend: cancer du pancréas, métastases, néoplasmes kystiques du pancréas, pancréatite chronique focale, infections fongiques, maladie de Castleman et la sarcoïdose [7].

 

Lorsque le diagnostic d´infection tuberculeuse est confirmé, le traitement spécifique doit être instauré et s´avère bénéfique dans la majorité des cas. Ce traitement doit être prolongé, continu, avoir une bonne pénétration tissulaire, un pouvoir bactéricide intra et extra-cellulaire et utiliser plusieurs médicaments afin de diminuer le risque d´émergence de souches résistantes. La durée du traitement est habituellement de 6 à 9 mois, mais, en cas de souches résistantes, notamment à l´isoniazide ou à la rifampicine, elle pourrait être prolongée à 12 mois minimum avec des antibiotiques efficaces à l´antibiogramme [3]. Le pronostic de la tuberculose pancréatique est bon si le diagnostic est institué précocement et si un traitement antituberculeux est prescrit. On note cependant une mortalité de 7% chez des malades immunocompétents dans une revue de la littérature [3].

 

 

Conclusion Up    Down

Le diagnostic de tuberculose du pancréas nécessite un niveau élevé de présomption, on doit y penser devant une masse du pancréas chez un patient jeune, vivant dans un pays d´endémie ou immunodéprimé, ce qui permet de réaliser dans un premier temps une ponction biopsie et évitera une laparotomie complexe et inutile. La tuberculose étant une maladie curable, tout doit être mis en œuvre pour permettre un diagnostic précoce afin d'éviter des interventions inutiles, notamment la laparotomie.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont participé à ce travail et ont lu et approuvé la version finale.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1 : coupe scanographique axiale montrant la lésion kystique du pancréas

Figure 2: coupe scanographique axiale montrant en plus de la lésion kystique caudale, des adénopathies péripancréatiques cœliomésenteriques et rétropéritonéales partiellement nécrosées

Figure 3: imagerie par résonance magnétique (IRM), FLAIR « fluid attenuated inversion recovery » (FLAIR) axiale montrant la lésion kystique

 

 

Références Up    Down

  1. El Majdoubi MT. Tuberculose pancréatique, à propos d'un cas. Étude de 40 cas publiés dans la littérature. Thèses de Médecine. 2011. Google Scholar

  2. Benkabbou A, El Malki HO, Mohsine R, Ifrine L, Belkouchi A. Tuberculose isolée du pancréas et des ganglions péripancréatiques : challenge diagnostique. Tunis Med. 2009;87(1):89-92. PubMed | Google Scholar

  3. El Mansari O, Tajdine MT, Mikou I, Janati MI. La tuberculose pancréatique : à propos de deux cas. Gastroentérologie Clinique et Biologique. 2003;27(5):548-550. PubMed | Google Scholar

  4. Hellara O, Noomène F, Toumi O. Tuberculose pancréatique à présentation pseudotumorale. Journal de Chirurgie Viscérale. 2012;149(4):317-319. Google Scholar

  5. Xia F, Poon RTP, Wang SG, Bie P, Huang XQ, Dong JH. Tuberculosis of pancreas and peripancreatic lymph nodes in immunocompetent patients: experience from China. World J Gastroenterol. 2003 Jun;9(6):1361-4. PubMed | Google Scholar

  6. Baraboutis I, Skoutelis A. Isolated tuberculosis of the pancreas. J Pancreas (Online). 2004;5(3):155-158. PubMed | Google Scholar

  7. Chaudhary P, Bhadana U, Arora MP. Pancreatic tuberculosis. Indian Journal of Surgery. 2015;77(6):517-524. PubMed | Google Scholar